Danse avec les pierres
Léna Martinelli
Les Trois Coups
Entre installation plastique et cirque contemporain, les acrobates Domitille Martin, Nina Harper et Ricardo Cabral traitent de l’altérité et du Vivant, dans une performance hybride poétique et sensible. Un projet lauréat CircusNext 2024 et du programme Transforme de la Fondation Hermès.
Matériau, partenaires de jeu, organismes… Les pierres passent ici allègrement de l’inerte à l’animé. Deux jeunes femmes évoluent sur scène, d’abord dans une mine d’or, qui se transforme vite en champ de bataille, puis de ruines. Il est temps de reconstruire : la nouvelle constellation minérale qu’elles mettent à jour devient terrain de jeu et de réflexion. Dans une cosmogonie où les rochers deviennent agrès de cirque, le duo trouve alors un nouvel équilibre dans une délicate danse aérienne.
Le poids des ans
La thématique du Vivant n’a jamais été autant traitée sur nos scènes. L’effondrement attire notre attention sur les espèces menacées. Toutes les espèces, dont le minéral. Car les pierres ne se limitent pas à leur fonction utilitariste. Quelle diversité, en effet : « avec leurs faces nues, polies ou grenues, renfermées ou rayonnantes. Avec leurs gueules cassées, leurs arêtes vives, leurs fronts bosselés ».
Cailloux, rochers, cristaux, aérolithes… Au sol comme en l’air, il y en a à la pelle. « Les pierres sont là depuis si longtemps. Elles en ont tant vu. Elles ont tout traversé ». Pourtant, exposées dans leur fragilité, « elles ne tiennent plus qu’à un fil », quand elles ne finissent pas poussière. Fondements de la terre, elles sont de précieux témoins de notre société. La pièce est justement inspirée d’un récit amérindien : pour les Yanomami, les minéraux (or, cuivre, pétrole) soutiennent le ciel. Les arracher, c’est le faire tomber. Faire preuve d’avidité, c’est nous précipiter dans les ténèbres.
Si l’on n’est guère aveugle à la richesse minéralogique, on demeure sourd à certains messages. D’où le beau titre : le Bruit des pierres. Et si nous considérions les roches à leur juste valeur ? « Les regarder d’un autre œil. Les écouter. Apprendre d’elles, faire corps avec elles. En tenir compte, en prendre soin. Les traiter en amies. S’il est encore temps ». Au milieu des pierres en suspension, le collectif crée donc les conditions d’une rencontre. Tout se tient, non ? Après la confrontation, l’observation et une démarche coopératrice, un dialogue inattendu s’amorce. Feuilles d’or, cristaux comestibles, pierres à percussions : tout invite au geste, au son, au soin. Ces échanges fructueux soulignent l’importance de l’alliance entre les êtres humains et les espèces.
Défi de taille
Alors, comment habiter le monde ? Dans un tel projet, la scénographie a son importance. C’est non seulement ludique et spectaculaire, mais également très beau. Fil rouge, craie, jeux de matières sont des éléments dramaturgiques pertinents. Domitille Martin sculpte des paysages « é-mouvants », propices à d’infimes vibrations et acrobaties : résister, peser, tomber, durer, rouler, consteller, s’effriter…



1 © Christophe Renaud de Lage ; 2 © Loic Nys ; 3 © Lydie Roure
Jouant malicieusement avec la gravité, le duo y évoque ainsi notre rapport au vivant : « Ce tableau révèle une terre blessée dans ses fondations, où nous ne sommes plus sûrs que les choses tiennent. En prolongeant cet instant suspendu, peut-être pourra-t-on, comme le propose le penseur, écrivain et militant pour la cause indigène Ailton Krenak, raconter encore une histoire pour retarder la fin du monde. De ce monde en ruine, qui ressemble aussi à un chantier, un autre monde peut naître », lit-on dans la note d’intention.
Dommage de ne pas avoir d’avantage développé la dimension spirituelle. On attribue aux pierres naturelles des propriétés magiques depuis longtemps. Les adeptes de la lithothérapie prétendent que celles-ci ont des vertus et qu’elles auraient même le pouvoir de transmettre une énergie, voire de guérir certains maux. Toutefois, ce parti pris peut s’expliquer par le désir de nous rendre le minéral plus proche encore. Organique. Vivant.
Léna Martinelli
Le Bruit des pierres, Domitille Martin, Nina Harper et Ricardo Cabral
Site du Collectif Maison Courbe
Site de CircusNext
Avec : Domitille Martin et Nina Harper
Conseils dramaturgiques : Tristan Garcia
Musique : Nova Materia (Eduardo Henriquez et Caroline Chaspoul)
Création lumière : Marie Sol Kim
Dès 7 ans
Durée 1 heure
Théâtre de La Cité Internationale • 17, bd Jourdan 75014 Paris • Tel. : 01 85 53 53 85
Les 16 et 17 octobre 2025
Dans le cadre du festival Transforme Paris, initié par la Fondation d’entreprise Hermès
Tournée ici :
• Le 17 février 2026, Théâtre de Rungis
• Le 20 février, Centre culturel Houdremont, La Courneuve
• Le 11 mars, Quai des Arts, dans le cadre du Festival Spring, à Argentan
• Les 19 et 20 mars, Les SUBS, dans le cadre du festival Transforme, à Lyon
• Le 27 mars, l’Espace Paul Jargot scène ressource en Isère, à Crolles
• Les 31 mars et 1er avril, Théâtre de Mende
• Le 6 mai, la Salle Europe, Théâtre municipal de Colmar
Photo de une : © Christophe Renaud de Lage


