« Le Dernier Jour d’un condamné », Victor Hugo, cie Expression 7, Théâtre Expression 7, Limoges

Le-Dernier-Jour-d-un-condamné-Victor-Hugo-cie-Expression © Franck-Roncière

La fusion où la fonte n’a pas laissé de veine

Laura Plas
Les Trois Coups

Presque bressonienne en son magnifique travail de lumières, l’adaptation du « Dernier jour d’un condamné » que propose la cie Expression 7 s’impose par son attention au souffle hugolien, ses interprètes et son refus de toute facilité.

À dix-huit ans, Victor Hugo assiste à une exécution capitale. Tel Camus un siècle plus tard, il ne s’en remettra pas. Tel Camus, il passera sa vie à lutter contre ce fléau. Tel Camus, il sera un des inspirateurs de celui qui parviendra enfin à obtenir son abolition en France : Robert Badinter. Hanté par le supplice du condamné, Hugo rédige un texte habité et comme parcouru par ce souffle qui bientôt sera ôté au prisonnier. Un texte dont il a pourtant voulu « élaguer de toute part dans son sujet le contingent ».

Un condamné à mort ne s’est pas échappé

À ce souci de l’épure, comme à ce souffle, l’adaptation de Philippe Labonne est profondément fidèle. Théâtre n’est en effet pas jeu spectaculaire. Si Hugo n’a choisi la forme théâtrale que dans une de ses préfaces, c’est qu’il s’oppose profondément au grand guignol de l’exécution. Pas de sang en pâture, pas même d’identification pathétique au prisonnier. Le condamné n’est pas Claude Gueux. Justement, parce que nous ne connaissons presque rien de lui, notre rejet de sa peine devient universel.

En accord avec cette idée de l’auteur, sur scène le condamné est diffracté en trois figures. Paul Éguisier est sarcastique et coupant comme la guillotine. Face à lui, Yann Karaquillo, confondant de justesse, représente espoirs et atermoiements. Tiraillé entre ces deux aspects de lui-même, Benjamin Grenat prête, quant à lui, sa grâce au prisonnier. II est celui dont la peau, comme la jeunesse, crient l’injustice de la peine de mort. Démultiplié, ce protagoniste se dérobe encore à nous par ses positionnements sur le plateau, sa mise à distance du public. Et quand son visage est projeté, lui-même est de profil. En définitive, le seul sujet qui reste est un objet, la guillotine, centrale, rendue monstrueuse par la lumière expressionniste.

Cette obscure clarté qui ne tombe plus des étoiles

Par ailleurs, comme si la violence du sujet requérait la plus grande pudeur, la lumière révèle autant qu’elle dérobe les visages. Elle laisse deviner une geôle à la profondeur abyssale, tumulte en soi et vide autour de soi. Elle créé un univers où la couleur a définitivement disparu, peut-être parce que cette dernière est vie, peut-être aussi parce qu’elle créerait une forme d’obscénité, celle qui apparaît quand on voit le remake de Psychose par De Palma, par exemple. En tout cas, il y a une forme de beauté austère dans le noir et blanc. On songe au film magnifique de Bresson : Un condamné à mort s’est échappé.

Pas de pathos, donc. On ferait mieux de revoir sur ce point ses préjugés sur Victor Hugo, mais un souffle, celui qui refuse de bientôt n’être plus. C’est le souffle de l’âme chère à Hugo, le souffle de la langue. Il court dans la partition de Benjamin Grenat, dirigé différemment de ses partenaires, slam poignant, jeu rythmique sur la phrase. On sent que la parole se débat dans le carcan du temps qui reste. Elle est coupée par la brûlure d’un verre qu’on boit comme on reçoit une gifle, chaque shot actant la coupure d’avec les vivants, d’avec cette petite-fille qu’on aimait tant.

Ce choix de diriger autrement l’un des acteurs a ceci de fort qu’on nous fait palper la solitude du personnage, d’une part, et qu’on attire l’attention sur la langue, d’autre part. D’aucun trouveront sans doute cela artificiel, mais c’est pour nous le choix d’un metteur en scène-musicien.

D’ailleurs, l’adaptation est transformée par la présence de Laurent Rousseau. Ce dernier, à la guitare, évite toute instrumentalisation, toute réduction de la musique à la fioriture. Sa présence, somme toute discrète, est toujours supplément d’âme.

Musique, son, tout cela a son importance comme le montre le final de la pièce qu’on vous laisse le soin de découvrir. Ici, la forme n’est donc pas anecdotique, mais plutôt, comme le souhaitait le grand Victor « la fusion où la fonte n’a pas laissé de veine ».

Laura Plas


Le Dernier Jour d’un condamné, d’après Victor Hugo

Cie Expression 7
Mise en scène : Philippe Labonne
Avec : Paul Éguisier, Benjamin Grenat, Yann Karaquillo, Laurent Rousseau
Durée : 1 h 10
Dès 14 ans

Théâtre Expression 7, CCM Jean Gagnant• 7, avenue Jean Gagnant • 87000 Limoges
Du 17 au 19 décembre 2024
Le spectacle est associé à une exposition d’Amnesty International au sujet de la peine de mort

À découvrir sur Les Trois Coups :
La Bonne Nouvelle, François Bégaudeau, Théâtre Expression 7, Limoges
Les Époux, David Lescot, Théâtre Expression 7, Limoges

Photos : © Franck Roncière

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