Baroque ou barré ?
Par Laura Plas
Les Trois Coups
Aussi explosif et retors que son modèle cinématographique, « Le Direktor », mis en scène par Oscar Gόmez Mata, propose une farce baroque sur le théâtre. Si la portée satirique s’en voit nettement émoussée, le spectacle épate souvent par sa liberté.
Qui n’est pas sorti de la projection d’un film de Lars von Trier exaspéré et admiratif tout à la fois ? Le Direktor, présenté sur la scène du Théâtre de La Bastille provoque la même impression mélangée. On y découvre également de nombreuses autres analogies avec le film : la fable bien sûr, qui fait endosser à un comédien le rôle d’un chef d’entreprise trop pleutre pour assumer sa sale gestion, mais aussi le goût pour la mise en abîme et la réflexion sur l’illusion.
Pourtant une différence, qui n’est pas que de genre, sépare les deux projets : Oscar Gόmez Mata ne s’inspire du scénario que pour le subvertir. En effet, alors que chez Lars von Trier, l’évocation du théâtre était essentiellement le moyen de mettre en lumière la mascarade de l’entreprise, celle-ci devient ici une fin en soi. C’est pourquoi la satire devient bien accessoire.
Corporate joke ?
Si les techniques et le vocabulaire managériaux entrent en résonance avec ceux du théâtre, la métaphore n’est pas assez filée pour faire sens et instaurer une critique. Simplement, la mise en scène souligne lourdement la théâtralité de la proposition : le quatrième mur est brisé, les codes de jeu sont exhibés et remis en cause, sans cesse. À aucun moment, donc, ce qui se passe sur scène ne peut sembler crédible – comme si Oscar Gόmez Mata s’amusait à expérimenter un brechtisme sans propos politique. Il assume ainsi le risque de ce qu’on pourrait nommer le corporate joke (en écho aux private joke des comédiens au sujet d’Olivier Py ou du « petit théâtre » de Saint-Quentin-en-Yvelines, pendant la représentation).
En même temps, le plateau se métamorphose en laboratoire où les expérimentations les plus dingues sont autorisées. La fine équipe de comédiens s’en donne à cœur joie. Certains se glissent avec délice dans les peaux de fantoches (tels Aurélien Patouillard, Pierre Banderet ou Bastien Semenzato, remarquables). Tous nous entraînent dans une sarabande endiablée dont on ne peut sortir que secoués par le rire et ébahis. Et heureusement, cette vitalité farcesque fait oublier tous les cabotinages. ¶
Laura Plas
Le Direktor, d’après Direktoren for det hele de Lars von Trier
Mise en scène et adaptation : Oscar Gόmez Mata
Avec : Pierre Banderet, Valeria Bertolotto, Claire Deutsch, Vincent Fontannaz, Christian Geffroy Schlittler, David Gobet, Camille Mermet, Aurélien Patouillard, Bastien Semenzato
Durée : 2 h 15
À partir de 15 ans
Théâtre de La Bastille • 76, rue de La Roquette • 75011 Paris
Du 12 mars au 14 avril 2019, à 20 heures, relâche les dimanches et le jeudi 14 mars
De 15 € à 25 €
Réservations : 01 43 57 42 14
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