Ni niaiserie, ni maître !
Par Laura Plas
Les Trois Coups
Le conte est un territoire merveilleux aux sentes difficiles à frayer, mais la Compagnie O’navio, grâce à de très bons comédiens et à une mise en scène inventive et esthétique, nous y entraîne pour notre plus grand plaisir. Ode à l’insoumission, ce spectacle est un bijou de poésie et d’humour.
Floraison d’affiches et de flyers, épais programme du Off : dans cette profusion d’informations, on a souvent du mal à trouver un bon spectacle jeune public. Et pourtant, qui sait si les premières fois sont importantes. On peut sortir dégoûté ou ravi. Et justement, le Garçon qui ne parlait plus est un spectacle à la hauteur. Et même à hauteur d’enfants. Il ne les infantilise pas, il célèbre leur imagination et la force de leurs émotions : la peur, la colère aussi.
Son récit adopte en effet la forme d’un conte, dont une forêt profonde fournit le décor. Un village y est niché, à l’ombre d’un arbre aux pouvoirs mystérieux. On retrouve des personnages traditionnels du genre. Il y a ainsi des adultes bien décevants, mais dont la veulerie offre de délicieux moments comiques. Il y a surtout des enfants assez courageux pour affronter les monstres… qui ne sont pas ceux qu’on croit. Le récit de Thomas Gornet est facile à suivre. Si son style ne brille pas de mille feux, il est limpide. Son schéma narratif respecte globalement la convention, mais ce sont les petits écarts qui en font l’intérêt.
Surtout, c’est le passage à la scène qui nous paraît ici réussi. L’interprétation est vive, facétieuse. Il y a dans l’enfance une ferveur, une foi dans les histoires que les trois comédiens retrouvent. Et quand Elise Hôte et Paul Eguisier se mettent à incarner les adultes, ils expriment aussi l’allégresse du jeu. Qu’ils sont cocasses et ridicules ! Et cette maîtresse nunuche, ces voisins un peu trop bienveillants ! Quant à Amélie Rouffanche, elle provoque cette empathie sans laquelle on ne peut s’attacher à une histoire.
L’enfant et les sortilèges (du pouvoir)
Mais les enfants alors, qui porte leur voix ? L’idée fine d’Alban Coulaud est de nous faire découvrir leurs traits sous la forme de dessins et de marionnettes. Les enfants ne sont ainsi pas singés par des adultes, le théâtre rejoint le livre d’images, et chacun peut se projeter dans ces silhouettes colorées. Globalement, le spectacle convainc par la pertinence de sa mise en scène et la façon dont elle exploite les ressources de la scénographie.
On ne voudrait pas trop en dire, vous laissant la surprise. Sachez juste, que cette scénographie, habillée de lumières, est à la fois économe et inventive. Elle se métamorphose pour créer des lieux et susciter des émotions. Comme les marionnettes de Judith Dubois ! Comme les dessins ! Cette scénographie est belle. On est admiratif devant le fin travail d’Isabelle Decoux, d’autant que le spectacle jeune public se contente trop souvent de paillettes et de carton-pâte.
C’est d’ailleurs en carton-pâte qu’est le bonheur du village, où vit le personnage éponyme de la pièce. Il faudra qu’arrive un nouveau gamin intrépide pour que ce décor dévoile dans toute sa vérité une dictature de « la sagesse » et du « bien vivre ensemble ». Comme dans un autre conte, Les Habits neufs de L’empereur, d’Andersen, seuls les enfants affrontent la vérité nue et résistent aux sortilèges du pouvoir. Une leçon de rébellion dont bien des adultes pourraient aussi prendre de la graine, non ? ¶
Laura Plas
Le Garçon qui ne parlait plus, de Thomas Gornet
Mise en scène : Alban Coulaud
Scénographie, costumes, dessins : Isabelle Decoux
Avec : Amélie Rouffanche, Paul Éguisier, Élise Hôte
Durée : 55 minutes
À partir de 7 ans
Théâtre Artéphile • 5bis-7, rue du Bourg Neuf • 84000 Avignon
Du 7 au 28 juillet (les jours impairs) à 11 heures
Dans le cadre du festival Off d’Avignon
De 7 € à 10 €
Réservations : 04 90 03 01 90
À découvrir sur Les Trois Coups :
☛ le Petit Bain, de Johanny Bert, les Ateliers, à Lyon, par Trina Mounier
☛ le Goret, de Patrick McCabe, les Célestins, à Lyon, par Trina Mounier