« le Goret », de Patrick McCabe, les Célestins à Lyon

« le Goret » © Jean-Louis Fernandez

Et le monde bascule

Par Trina Mounier
Les Trois Coups

Johanny Bert est un metteur en scène singulier dont le langage théâtral unit acteurs et marionnettes de façon très originale et surtout très efficace. Écrit pour un seul comédien, Julien Bonnet, devenu lui‑même marionnette, ce « Goret » est une nouvelle illustration de son talent.

Le Goret reprend les thèmes chers à l’auteur irlandais Patrick McCabe, auteur très prisé outre-Manche : la difficulté à passer d’un monde rural traditionnel au monde d’aujourd’hui, l’inadaptation des êtres et son cortège de folies.

Frank est un jeune garçon qui vit dans une grande solitude : sa mère est dépressive, tout occupée d’elle‑même, son père inexistant. Difficile dans ces conditions de s’affirmer dans le village où l’on est connu sous le sobriquet « P’tit cochon ». L’avenir est dès lors tracé : Frank, une fois adolescent, deviendra garçon boucher, à la fois auteur et matière de moquerie, de répulsion, de boucherie…

Un éventail exceptionnel de talents

Cette histoire offre un matériau rêvé à Johanny Bert : Frank rêve sa vie, se raconte des histoires, noue des relations qui sont pour la plupart imaginaires et en grande partie imaginées avec des gens réels qu’il rencontre. Et c’est dans son corps, avec son corps, que sa vie fracassée s’exprime. Le texte mêle les époques, le vrai et le faux, au gré d’une pensée associative, errante. Devenu lui‑même sa propre marionnette qu’il manipule, faisant sortir de sa bouche plusieurs voix, celle de Joe, celle de M’man, celle de P’pa, celle de Frank hier et celle de Frank aujourd’hui, Julien Bonnet déploie un éventail exceptionnel de talents. La scène, par exemple, où il fait dialoguer ses pieds, chaussés l’un d’une pantoufle, l’autre d’un escarpin à talon aiguille est époustouflante.

« le Goret » © Jean-Louis Fernandez
« le Goret » © Jean-Louis Fernandez

Les marionnettistes, hiératiques, personnages dépourvus d’âme, privés de véritables marionnettes, uniquement au service de l’imaginaire de Frank, lui apportent et remportent en coulisses accessoires divers et baudruches de père ou mère. Leur immobilité fait contrepoint à la violence du monde qui « entoure » Frank, c’est‑à‑dire ne l’entoure pas, mais le rejette, le moque, ou, pire, ne le voit pas, ne l’entend pas. Elle s’oppose aussi à la violence intérieure de Franck, violence qui se manifeste dans des explosions soudaines de brutalité dont on ne sait si elles sont réelles ou rêvées : morceaux de carcasse de porc jetés, coups donnés à ceux qui lui résistent, etc. Et pourtant nulle outrance, nul pathos dans cette mise en scène ni dans le jeu. Du grand art.

L’homme-marionnette

La mise en scène, la direction d’acteur et le jeu sont encore renforcés par une scénographie particulièrement efficace et intéressante. Frank est en effet juché à deux mètres du sol sur une plate‑forme carrée à la surface réduite : seuls peuvent y prendre place son grand corps, une chaise et les accessoires dont il se sert avant de les jeter au sol. Isolé, hors du monde des hommes.

Au début et à la fin du spectacle, cette plate‑forme bascule vers le public, mettant le sol de Franck (et Frank lui‑même) dans une situation quasiment perpendiculaire par rapport au sol commun : le monde littéralement bascule, il n’a pas l’air de s’en rendre compte. En revanche, le spectateur ressent comme un vertige, fortement doublé d’émotion et de compassion. 

Trina Mounier


le Goret, de Patrick McCabe

Texte publié aux éditions Espaces 34 pour la création en France

Texte français : Séverine Magois

Mise en scène : Johanny Bert

Avec : Julien Bonnet (acteur de la troupe permanente du C.D.N. de Montluçon)

Création musicale, interprétation sur scène et manipulation : Morgan Romagny

Assistant à la mise en scène : Thomas Gornet

Scénographie : Johanny Bert et Audrey Vuong

Création lumières : David Debrinay

Formes marionnettiques : Judith Dubois

Régie générale et manipulation : Jean‑Jacques Mielczarek

Régie plateau et manipulation : Stéphanie Manchon

Photos : © Jean‑Louis Fernandez

Production le Fracas, C.D.N. de Montluçon-Auvergne

http://www.cdnlefracas.com/

Les Célestins • 4, rue Charles‑Dullin • 69002 Lyon

Réservations : 04 72 77 40 00

Site : http://www.celestins-lyon.org

Du 20 novembre au 1er décembre à 20 h 30

Durée : 1 h 35

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