Une bouteille à la Terre
Par Bénédicte Fantin
Les Trois Coups
Après « Beaucoup de bruit pour rien », de Shakespeare, et l’adaptation à la scène de la BD de Fabcaro, « Zaï zaï zaï zaï », Maïa Sandoz, Paul Moulin et leur joyeuse équipe du Théâtre de l’Argument s’emparent d’un texte du dramaturge contemporain Bonn Park pour en faire une mise en scène brillante de drôlerie.
Le ton de la tragi-comédie loufoque est donné d’entrée de jeu, alors que la distribution des rôles se fait sous nos yeux par les sept comédiens et que nous sont lues les premières didascalies. Voilà la troupe entièrement mobilisée pour nous embarquer dans ce voyage intergalactique délirant.
Les changements de costumes et de décors se font à vue pour nous offrir une succession de tableaux aussi inventifs qu’inattendus : un « extra-terrestre admonesteur » vient nous expliquer que nous, Terriens, courons à notre perte, un Kim Jong Un utopiste se met en tête de réunifier les deux Corées, un Donald Trump repenti cherche à se débarrasser de sa fortune, une Heidi Klum obèse et anthropophage se met au stand-up, etc.
Autant de personnalités, certes issues de notre paysage contemporain, mais toujours abordées de manière décalée. Le dramaturge tord notre imaginaire collectif avec une irrévérence jouissive et crée, par ces références communes, un sentiment de complicité avec le spectateur. Nous sommes tous dans le même navire… et il coule. Le texte de Bonn Park rejoint parfaitement la démarche artistique de l’Argument pour qui le détour par la fiction, et plus particulièrement la comédie, est un merveilleux outil de réflexion politique.
Irrésistible
Le texte du dramaturge allemand peut parfois dérouter par sa densité. Mais c’est précisément parce qu’ils embrassent le caractère foisonnant de l’écriture que Maïa Sandoz et Paul Moulin éclairent son sens. Le rythme, l’humour et l’énergie avec lesquels est défendu chaque personnage, chaque nouvelle situation de jeu, ne nous laisse d’autre choix que de nous laisser happer par cet univers délirant. C’est d’autant plus irrésistible que le quatrième mur est brisé pour intégrer franchement le public jusqu’à finir par une scène d’interaction totale où une « girafe décontractée et fumeuse » nous invite à tendre (ou non) la joue pour recevoir une gifle de notre voisin.e de fauteuil.
Comme souvent avec le théâtre de l’Argument, la musique et les corps sont à l’honneur. La fable dystopique est ponctuée de parties musicalisées, chantées ou dansées. Les comédiens multi-talents soutiennent l’ensemble de la partition avec une énergie impressionnante. En plus d’avoir chacun.e un sens comique certain, ils forment un véritable chœur au plateau. Ensemble, ils donnent vie à tous ces magnifiques perdants dans ce qui se veut une déclaration d’amour à l’humanité, tout autant qu’un appel au ressaisissement. Un rendez-vous nécessaire et festif auquel nous sommes tous conviés. 🔴
Bénédicte Fantin
Le Grognement de la voie lactée, de Bonn Park
Publié chez L’Arche éditeur
Traduction : Laurent Muhleisen
Mise en scène : Paul Moulin, Maïa Sandoz
Assistanat à la mise en scène : Clémence Barbier
Avec : Matthieu Carle, Jeanne Godard, Angie Mercier, Fabien Rasplus, Quentin Rivet, Christelle Simonin, Marie Razafindrakoto, en alternance avec Mélissa Zehner, Paolo Sandoz
Lumières : Romane Metaireau
Création sonore et musicale : Grégoire Leymarie, Angie Mercier
Costumes : Muriel Senaux
Collaboration artistique : Guillaume Moitessier
Régie générale : David Ferré
Régie plateau : Paolo Sandoz
Régie son : Grégoire Leymarie
Habilleuse : Muriel Senaux
Durée : 1 h 45
Théâtre de la Tempête • Cartoucherie, Route du Champ de Manœuvre • 75012 Paris
Du 3 au 23 juin 2023, du mardi au samedi 20 h 30, dimanche 16 h 30
De 10 € à 22 €
Réservations au 01 43 28 36 36 ou en ligne
À découvrir sur Les Trois Coups :
☛ Beaucoup de bruit pour rien, de William Shakespeare, par Le théâtre de l’Argument, Bénédicte Fantin