Jérémie Le Louët versus Jérémie Le Louët
Par Mathilde Penchinat
Les Trois Coups
Jérémie Le Louët a choisi d’adapter sur scène « le Horla », une nouvelle fantastique de Guy de Maupassant. La folie vécue à l’écrit par le personnage fictif, Jérémie Le Louët – également comédien – l’éprouve avec force en solo sur la scène du Théâtre Mouffetard à Paris.
Un revolver contre la tempe, un homme se tire une balle dans la tête. Jérémie Le Louët a choisi de mettre en scène le Horla en commençant par la fin. Cette fin tragique est la conséquence de la vie d’un homme a priori sain d’esprit qui, peu à peu, est rongé par un être invisible jusqu’à se donner la mort. Ce Horla, qui est-ce ? Un double de l’auteur, devenu le double de l’acteur ? L’autre ? L’inconnu ? L’ennemi ? La peur ? Cet être invisible, ce « hors-là » est en tout cas le hors-norme, le hors-champ, l’horrible. Impalpable, il manifeste sa présence en venant boire « ma vie sur mes lèvres », murmure l’interprète. Ce rival maléfique, qui s’infiltre dans l’intériorité du protagoniste, le fait chavirer du côté de la folie. En d’autres termes, il est l’image du basculement vers la névrose hallucinatoire consciente. Écrit en 1887 par un auteur inscrit dans la plus pure tradition naturaliste, ce récit bascule progressivement vers le fantastique.
Le Horla, c’est aussi la dualité qui habite Jérémie Le Louët, à la fois metteur en scène et comédien dans la pièce. Un escabeau, une bouilloire, un tabouret, une lampe et un pupitre suffisent au décor. Cette volonté d’inscrire le récit non plus dans un intérieur normand à l’instar de Guy de Maupassant, mais bien dans celui de l’anonymat, renforce l’idée d’universalité des angoisses humaines. Toute la pièce est rythmée par un clair-obscur fascinant, que l’on doit à Jean‑Luc Chanonat. L’incendie provoqué par le protagoniste pour tenter d’immoler le Horla est restitué sur scène uniquement par l’incandescence de spots rouges. Ces jeux de lumière permettent, en outre, l’ouverture et la fermeture de l’espace et du temps. Car Jérémie Le Louët a conservé la forme du journal intime de l’œuvre originale. La succession de petits tableaux quotidiens, ajoutés aux confessions du narrateur faites à la première personne, parviennent à plonger le spectateur dans le trouble intérieur de celui-ci.
Une interprétation rythmée et expressive
Quand il revêt sa casquette de comédien, Jérémie Le Louët est tout aussi brillant. À l’image du décor, il est vêtu sobrement d’un costume noir et d’une chemise blanche. Et, malgré le caractère épuré de sa mise en scène, il réussit à faire percevoir la présence physique de l’être invisible qui lui ronge l’esprit. Seul sur le plateau, il joue les rares autres personnages en effectuant un simple glissement de voix. Quant à son expressivité marquée à la manière des mimes, elle accentue la lente descente aux enfers du personnage. Mais c’est surtout dans la façon dont il s’approprie le texte littéraire que Jérémie Le Louët éblouit : il transforme la prose de Guy de Maupassant en vers libres. Le texte découpé en mouvements est clamé selon les tressaillements du corps et de l’esprit. L’acteur joue avec le texte, tantôt en décortiquant les mots, tantôt en déversant d’un trait un flot de paroles. Tour à tour, il chuchote, crie, gémit ou supplie, en évitant constamment de tomber dans l’hystérie. Ainsi, Jérémie Le Louët réussit avec brio à passer « du scriptural au phonique ».
Débarrassée des théories scientifiques sur la folie, la pièce conserve exclusivement son caractère fantastique. Alors que « l’être nouveau » devient palpable et se transforme en « nouveau maître », le noir se fait plus intense autour du personnage. Cette version scénique radicale et inquiétante fait passer plus d’un frisson dans le dos. ¶
Mathilde Penchinat
Lire aussi la critique de Cédric Enjalbert pour les Trois Coups
Le Horla, de Guy de Maupassant
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Mise en scène : Jérémie Le Louët
Avec : Jérémie Le Louët
Création lumière : Jean-Luc Chanonat
Son : Simon Denis
Régie : Thomas Chrétien et Simon Denis
Photo : © Sébastien Chambert
Théâtre Mouffetard • 73, rue Mouffetard • 75005 Paris
Réservations : 01 43 31 11 99
Du 9 novembre au 18 décembre 2011, du mercredi au samedi à 19 heures, dimanche à 15 heures, relâche du 11 au 16 novembre 2011
Durée : 1 heure
24 € | 16 €