Une édition haute en couleur
Léna Martinelli
Les Trois Coups
C’est l’évènement incontournable de juin, avec des spectacles que l’on peut retrouver ensuite dans d’autres festivals de l’été. Donc, on y court chaque année. Comme nous, 24 500 personnes l’ont fréquenté. Haute en couleurs, la programmation était audacieuse, populaire et inclusive, avec un intéressant focus sur la création réunionnaise et d’heureuses découvertes. Un grand moment de vivre ensemble, dans la rencontre et la diversité.
Temps fort de la saison du Plongeoir Cité du Cirque, dirigé par Richard Fournier, le festival fait partie du projet sociétal unique, appelé « cirque au quotidien », qui se déploie toute l’année pour favoriser la rencontre entre artistes et habitants. Installés dans le quartier des Sablons, aux bords de l’Huisne, La Cité du Cirque et Le Chapiteau sont de véritables lieux de vie(s) où la convivialité, le partage, la transmission côtoient l’exigence et la vitalité de la création. En prélude, une tournée régionale du 18 mai au 9 juin a précédé ces deux semaines intenses, avec des étapes aux Grottes de Saulges, à Coulaines, Yvré-L’Evêque, Tuffé et Fillé-sur-Sarthe.
Le festival s’est ouvert par Lignes ouvertes, la marche funambule de la cie Basinga que nous avions découverte à Marseille (lire le compte-rendu), une performance aérienne et dansée qui a d’emblée fait prendre de la hauteur, au-dessus du village de toiles au Mans, « une expérience collective démontrant l’importance du rôle de chacun, du lien et du dépassement de nos fragilités par leur conjugaison ».
« Lignes ouvertes », cie Basinga © Christophe Magick Ribot ; © Clément Szczuczynski
Cette année encore, la vingtaine de propositions a permis d’apprécier la diversité des esthétiques, de la plus intimiste (même en caravane !), à la plus spectaculaire. D’ailleurs, nous avons eu un coup de cœur pour la cie Max et Maurice, qui fait le grand écart avec une grande forme et un duo irrésistible (lire notre critique). L’écriture circulaire, qui constitue l’ADN du festival, est au cœur de la programmation. On peut donc comparer les chapiteaux (six cette année).
Plusieurs se déroulaient aussi dans l’espace public, ainsi que dans des lieux non dédiés (musée, salle de classe, piscine). Ainsi, la cie Defracto a-t-elle achevé sa performance tout terrain en jouant ses dernières Croûtes, entre autres dans un centre aquatique. Quant à la cie Supérette, elle est lauréate du dispositif Cirque Portatif, avec Nous on a rien vu venir, « un match grotesque et doux autour d’un agrès de cirque qui n’en est pas un : le téléviseur ». On apprécie également les cartes blanches, autant d’expériences atypiques à vivre.
Promenade Newton, de nombreuses animations ont été mises en place afin de pratiquer l’art du cirque, de jouer ou lire en plein air. Enfin, outre les pratiques amateurs, en quelques jours, le festival réunit l’ensemble de la filière en initiant des rencontres professionnelles et des temps d’échanges. En partenariat avec les écoles supérieures et les centres de formation, le festival offre aux étudiants une belle vitrine et de réelles opportunités de rencontres. Plusieurs spectacles d’écoles ont donc été présentés, dont la promotion 2021 de l’Ésacto’Lido et Les Échappées du CNAC (36e promotion).
Le Plongeoir Cité du Cirque et chapiteau de la Promenade Newton © Thomas Brousmiche Clément Szczuczynski ; spectacle d’élèves © Clément Szczuczynski ; podcast © Sarah Meneghello
Relevons aussi les contenus médias innovants. Immersion en 360 est une expérience en réalité virtuelle inspirée de la création Foutoir Céleste, du Cirque Exalté, et produite par O.H.N.K. Muni d’un casque on se retrouve au centre de la piste du chapiteau, avec les artistes, en immersion sonore et visuelle. Quant aux podcasts en accès libre dans la station d’écoute de la Promenade, ils ont permis de plonger, en 10 épisodes, dans l’histoire du marathon jonglé de Johan Swartvagher (En finir). Sur le fil (réalisé par Sens de la visite), lui,conclut, en 5 épisodes, une correspondance d’une année dans le quartier des Sablons avec La cie Basinga.
Focus sur la création ultramarine
Outre l’organisation d’une journée professionnelle sur le sujet, le Plongeoir a confié une carte blanche à la cie Cirquons Flex, un collectif d’artistes à l’énergie bouillonnante, qui défend un cirque endémique de la Réunion : « solidaire, généreux, humain, ancré par sa culture et ses racines ». Ses codirecteurs Virginie Le Flaouter et Vincent Maillot, artistes associés au Plongeoir pour la saison 2023-2024, ont donc présenté durant la saison un panorama du cirque réunionnais (deux spectacles, deux expositions, deux concerts et un film documentaire).
Sensible et captivant, Radio Maniok s’inspire d’une histoire oubliée, celle des « Années Terribles », pendant la Seconde Guerre Mondiale, quand la Réunion a été coupée du monde. Un spectacle choral ambitieux qui est aussi une formidable aventure humaine (lire notre critique).
Ouverture sur le monde et hymnes à la différence
Valoriser la vitalité des collectifs et les démarches singulières, innover, promouvoir un cirque engagé : Le Mans fait son cirque y œuvre sans relâche. Ainsi, le Cirque Queer raconte-t-il le plaisir et la force d’être ensemble, en réponse à la violence homophobe. En quête de réponses aux déséquilibres existentiels, ses membres expriment ce que peuvent être la fraternité et la sororité. Par leurs prouesses acrobatiques et la musique live, les transformations, apparitions, disparitions, ce cirque-là électrise les corps et rebat les cartes du genre, défiant la binarité de façon flamboyante. Sincère et sensible, le show (le Premier artifice) nous a faits vibrer (lire notre critique). Ça en est même renversant !
« Le Premier Artifice », Cirque Queer © Thomas Brousmiche ; « Croûte », cie Defracto © Pierre Morel ; cie Lagom © Richard Fournier
Parmi les spectacles déjà traités la Boule (Liam Lelarge et Kim Marro) et Brame (cie Libertivore Fanny Soriano). Parmi les ceux que nous traiterons plus tard dans l’été : Huellas (Hold-up & Co), League & Legend (cie 15Feet6), Bluff (cie 100 Issues).
Indisciplinés
Variée dans ses formats et ses modes d’expression, la programmation l’est aussi dans les esthétiques. Tandis que des artistes revisitent les vieux standards, d’autres circassiens, danseurs, performeurs, acteurs, plasticiens repoussent les frontières des genres et mixent les disciplines. Toutes ces propositions passionnantes, source d’émotions plurielles, déjouent bel et bien les stéréotypes. Tout terrain, le cirque fait bouger les lignes, à l’image de TRAIT(s) (cie Scom), cirque graphique dont l’art est la matière.
Parmi ceux que nous avons pu voir, Mellow Yellow nous plonge dans un univers du quotidien (une porte, une chaise, une plante) et aussi une table de mixage et un micro. Avec une petite dose d’absurde et un trait de malice, TBTF collectif (découvert à Alba) réussit l’accord entre danse, jonglage et acrobatie. Ces trublions détiennent l’art d’assembler les détails. Une fantaisie à trois balles qui fait tout valser, au rythme d’une musique électro composée en direct, qui explore les limites des formes et du temps, juste avant la rupture, la chute, voire la cata. Leur complicité ravit le public.
Bric-à-brac insensé
Au croisement du cirque, de la marionnette et des arts visuels, Faites comme chez vous (Cirque sans noms) peut dérouter. Entrer dans la caravane, c’est faire un voyage immobile hors du temps. Ce mini-théâtre d’objets nous projette à une époque, pas si lointaine, où des engrenages suffisaient à nous ébahir. Ici, les objets chinés, bidouillés vivent par eux-mêmes autant qu’ils sont manipulés.
« Faites comme chez vous », Cirque sans noms © Sarah Meneghello
De château de cartes improbable en numéros d’agilité, Yann Grall cultive bien la poésie du réel, sans parole mais avec une précision du geste, afin de garder l’équilibre, quelles que soient les circonstances. Décalé, insolite, cet entre-sort pour 20 personnes offre une parenthèse enchantée. Toutefois, l’univers peut faire peur aux plus petits (6 ans nous paraît inadapté) et ne pas convenir aux claustrophobes (même si la proximité est un atout indéniable).
Décidément, Le Mans fait son Cirque est le festival le plus important du grand Ouest. Alors, rendez-vous en 2025 du 19 au 29 juin avec d’autres découvertes !
Léna Martinelli
Le Mans fait son Cirque
23e édition, du 22 au 30 juin 2024
Site du festival
Le Plongeoir Cité du Cirque Pôle Cirque Le Mans Sarthe Pays de la Loire • 6, bd Winston Churchill • 72100 Le Mans
Tarifs : de 5 € à 20 € (gratuité pour les moins de 3 ans)
Réservations : Tél. 02 43 47 45 54 ou par mail ou en ligne
Infos pratiques ici
Toute la programmation ici
Mellow Yellow, TBTF collectif
Émile Sabord Production
De et avec : Ricardo S. Mendes, Juri Bisegna, Timothé Vincent
Accompagnement artistique : Johan Lescop, Isabelle Leroy
Régie : Bastien Vilt
Scénographie : Ricardo S. Mendes et Guillaume Balès
Production : Sébastien Lhommeau, Judith Hillebrant
Promenade Newton
Les 29 et 30 juin 2024
Tournée :
• Le 3 juillet, à Chalonne-sur-Loire (49)
• Le 17 juillet, dans le cadre d’Un Été O’Val à Avanne-Aveney (25)
• Le 21 juillet, à Chamarande
• Le 24 juillet, à Irigny (69)
• Le 27 juillet, à Montelimar (26)
• Du 3 au 8 août, dans le cadre de Festisis, à Pargny-Filain (02)
• Du 8 au 10 août, Le Castrum, à Yverdon-les-Bains (Suisse)
• Le 13 août, à Pornichet (44)
• Le 15 août, à Brest (29)
• Le 14 septembre, dans le cadre du festival Ti Piment, à St-Point (71)
• Le 15 septembre, à Lyon (69)
Faites comme chez vous, de Yann Grall
Cirque sans noms
Avec : Yann Grall et Thibaut Vuillemin
Administration : Tiphaine Verlhac
Durée : 25 min
Conseillé à partir de 6 ans
Caravane sur la Promenade Newton
Du 27 au 30 juin 2024
Tournée :
• Les 6 et 7 juillet, à Donnezac (33)
• Les 12 et 13 juillet, dans le cadre de Baraka fait son bistrot, à St-Jean-Ligoure (87)
• Du 29 août au 1er septembre, La Mégisserie, à St Junien (87)
• Les 6 et 7 septembre, dans le cadre de Coup de Chauffe, à Cognac (16)
• Le 14 décembre, dans le cadre de la Journée Entre-sort, à Frontignan (34)
À découvrir sur Les Trois Coups :
☛ Le Mans fait son Cirque 2023, Reportage de Léna Martinelli
☛ Le Mans fait son Cirque 2022, Reportage de Léna Martinelli
☛ Le Mans fait son Cirque 2021, Reportage de Léna Martinelli
Photo de une : « Mellow Yellow », TBTF collectif © Léna Reynaud