Heureux qui comme Darley fait ses courses à Monoprix…
Par Sheila Louinet
Les Trois Coups
Au fond d’un passage étroit, entre la cohue de la place de Clichy et la vie des « p’tites femmes de Pigalle », le Théâtre Ouvert. Pas étonnant d’y trouver Jean‑Claude Dreyfus dans le rôle de Marie‑Pierre. Mais, dans cette mise en scène de Michel Didym, nous sommes bien loin des clichés. Nous avions raté ce spectacle l’année dernière, voilà une erreur réparée.
Marie-Pierre… Qui est-ce au juste ? Grande robe rouge, talons aiguilles et regard de braise…, elle est belle Marie‑Pierre, vraiment très belle. Elle est émouvante aussi. Non, ce n’est pas Jean‑Pierre. Lui, il a disparu depuis longtemps. C’est en tous les cas ce qu’elle essaye de faire comprendre à son vieux père lorsqu’elle va le voir tous les mardis. Pour nous, pas de doute, mais pour ce veuf, irascible et intolérant, ce n’est pas toujours simple. Pourtant, elle est patiente Marie‑Pierre, elle aime son père, elle s’en occupe du mieux qu’elle peut. Oui, une femme sensible et émouvante qui passe ses mardis à faire la lessive et à préparer à manger. Mais le plus dur, ce n’est pas cela, ça c’est rien, comme elle dit. Depuis toute petite (ou petit ?), elle aimait aider sa mère dans les tâches ménagères. Le plus insupportable, ce n’est pas non plus lorsqu’elle arrive chez son pater et qu’il fait mine de ne pas la reconnaître… ou bien lorsque celui-ci, de sa voix tonitruante, lui dit : « Enfin, Jean‑Pierre, tu pourrais mettre un pantalon ! ». En fait, le plus pénible, c’est d’aller faire ses courses dans le petit supermarché d’une petite ville où tout le monde se connaît. D’observer son père s’éloigner de plusieurs mètres d’elle, pour éviter d’attirer l’attention sur eux. D’entendre ensuite les commentaires et de surprendre les regards en coin des ménagères…
Dit comme ça, on pourrait croire qu’il s’agit là d’une simple histoire de travestissement. Oui, d’une certaine façon, la trame est commune. Mais sous la plume d’Emmanuel Darley, le regard porté sur le personnage prend une tout autre dimension. Car la grande qualité de ce texte est de capter avec justesse les émotions du personnage, sans jamais tomber dans le cliché ni dans la sensiblerie. Au contraire, on aurait presque envie de la serrer fort et de lui dire : « Comme je vous comprends et comme vous êtes belle. Surtout ne changez pas, restez telle que vous êtes ».
L’immense talent de Jean‑Claude Dreyfus
Mais si le texte est beau, il faut dire que Marie‑Pierre, sans l’immense talent de Jean‑Claude Dreyfus, continuerait à passer inaperçue. Bien sûr, il y a le maquillage et le costume sous lequel l’acteur est à peine reconnaissable. Mais pas seulement. Il y a aussi cette prise de possession progressive du corps et de l’espace. La gestuelle est élégante, les mains surtout se déplacent avec sensualité. On admire ce prestidigitateur qui arrive à nous faire oublier l’homme, pourtant bien massif, qui se cache derrière. La voix est posée, et à aucun moment on ne tombe dans le ridicule, ou la caricature de la « folle » dans sa cage. Ici, pas de stéréotypes, juste l’émotion d’un être qui accepte de se mettre à nu. C’est bluffant. Pas facile pourtant de garder le cap pendant une heure quinze, dans un costume qui tient chaud et perché sur des talons aiguilles.
Cependant, on aurait tort de croire que Jean‑Claude Dreyfus est tout à fait seul en scène. La présence du contrebassiste, Philippe Thibaut, porte et emporte les mots du comédien. Ce gros instrument, imposant et massif, fait corps avec l’acteur et accompagne les émotions du personnage. Il est une sorte de double que Marie‑Pierre ou Dreyfus – au choix, à moins que ce ne soit les deux – n’hésite pas à saluer à la fin du spectacle, sous une salve d’applaudissements.
Enfin, nous ne pouvons passer sous silence la superbe mise en scène de Michel Didym, ainsi que la scénographie et la mise en lumières d’Olivier Irthum. Le décor est simple, l’atmosphère qui s’en dégage est un peu étrange : le fond est tapissé de rideau en fils ; derrière, des spots de lumière qui s’éclairent de façon différente selon les lieux traversés par le personnage. Une espèce de hors-temps et de hors-lieu qui ne feront sens qu’à la fin de la pièce.
En sortant de là, non seulement vous ne regarderez plus jamais toutes les Marie‑Pierre que vous croiserez au supermarché de la même façon. Mais vous aurez aussi la chance de voir sur scène un comédien dans toute la maîtrise de son art. ¶
Sheila Louinet
le Mardi à Monoprix, d’Emmanuel Darley
Mise en scène : Michel Didym
Assistant à la mise en scène : Reynaldo Delattre
Avec : Jean‑Claude Dreyfus et Philippe Thibault (création musicale)
Scénographie et création lumières : Olivier Irthum
Son : Pascal Flamme
Photo : © Jean‑Julien Kraemer
Théâtre Ouvert • 4 bis, cité Véron • 75018 Paris
Réservations : 01 42 55 55 50
Du 17 septembre au 23 octobre 2010, du mercredi au samedi à 20 heures, mardi à 19 heures, matinée le samedi à 16 heures et représentation exceptionnelle le lundi 20 septembre à 20 heures
Durée : 1 h 15
20 € | 15 € | 10 € | 8 €
Tournée 2010 :
- 4, 5 novembre 2010 au Carreau, Forbach, scène nationale
- 9, 10 novembre 2010 au Théâtre de Cornouaille, Quimper
- 12, 13 novembre 2010 au Phénix-scène nationale, Valenciennes
- 16, 17, 18 novembre 2010 au Théâtre de Narbonne-scène nationale
- 20 novembre 2010 au Théâtre Daniel-Sorano, Toulouse
- 23, 24 novembre 2010 à la Scène conventionnée, Arles
- 26, 27 novembre 2010 au Centre national de création, Châteauvallon
- 30 novembre 2010 au Théâtre municipal de Cahors
- 2 au 4 décembre 2010 au Théâtre national de Nice
- 7, 8 décembre 2010 aux Treize Arches, Brive-la-Gaillarde
- 10, 11 décembre 2010 à l’Athanor-scène nationale, Albi
- 14, 15 décembre 2010 à la Passerelle-scène nationale, Saint-Brieuc
- 17 décembre 2010 à la Passerelle, Florange
- 18, 19 décembre 2010 au Théâtre de la Manufacture, Nancy