Alceste enfiévré
Par Trina Mounier
Les Trois Coups
Que ceux qui n’aiment pas les classiques, les redoutent poussiéreux et guindés, voient cette version du « Misanthrope » imaginée par Thibault Perrenoud. Il y souffle un vent de modernité et de jeunesse résolument décoiffant !
Alceste est en colère contre son temps, contre ses contemporains qui se conforment aux usages, acceptent les injustices et les hypocrisies, se soumettent à l’intolérable. Mais… Alceste aime Célimène, une belle et jeune veuve, une coquette qui aime rire, se moquer et faire de l’esprit. Peut-on juger couple plus mal assorti ? Quel diable attire donc Alceste dans le salon de Célimène, où nombre de petits marquis vaniteux et obséquieux font le siège ?
C’est l’amour fou qui attire Alceste, répond Thibault Perrenoud. Il fait de « l’homme aux rubans verts » un très jeune, presque un adolescent, incapable de résister au charme de la belle. Alceste est pourtant lucide, et sur lui-même et sur l’objet de son amour. Mais cette connaissance ne l’aide en rien, bien au contraire. Alors, il se fâche, il crie, il gesticule, tel un fâcheux, un ridicule, un jaloux.
Le fin de l’honnête homme
Thibault Perrenoud transpose la pièce de Molière aujourd’hui et cela fonctionne très bien. Les scolaires amenés par leurs enseignants découvrent une histoire qui leur parle d’eux et du monde qui les entoure. C’est Mathieu Boisliveau, alias Philinte, qui les accueille en dansant, chantant, en buvant une bière, loin donc de l’image de l’honnête homme terne du XVIIe siècle. La musique sortie des enceintes écrase les conversations du public, en partie installé sur la scène.
Arsinoé arrive en vélo et jean troué et l’on en vient aux mains – à défaut des épées – à la moindre occasion. Tout prouve, s’il le fallait, l’universalité et l’actualité de Molière… et de faire passer les alexandrins tantôt dits trop vite, tantôt pris dans le brouhaha ou complétés d’un jargon jeune. Mais le texte y est.
Marc Arnaud interprète ce jeune homme avec fougue et surtout une pointe tragique, si sensible qu’on croit parfois entendre Phèdre. Sa douleur surpasse tous les autres sentiments : fini le donneur de leçons, le sinistre, le triste sire. Il caracole sur le plateau, hurle son désespoir, ne tient pas en place, sinon quand il se prend la tête entre les mains, abasourdi par la contrariété du monde. Saluons les performances gymniques de Marc Arnaud, si éloignées d’un Alceste guindé !
Cour de récréation
Globalement, on se laisse séduire par ce misanthrope si proche de nous. Les comédiens, Marc Arnaud en tête, sont convaincants. Tout s’enchaîne sans temps mort et souvent la farce prend le pas sur la comédie de mœurs. La scène de la fête chez Célimène, complètement transposée de nos jours, frise le ridicule. Oubliés les vers, laissée en plan l’exigence de la grande comédie. Oronte est un sot doublé d’un vulgaire, Arsinoé ne vaut pas mieux et la langue des cours de récréation dénote franchement.
Mais une question demeure : est-il nécessaire pour faire « passer » un classique, pour amener les gens au théâtre, de leur tendre un miroir grossissant estompant toute subtilité, gommant toute complexité ? ¶
Trina Mounier
Le Misanthrope, de Molière
Mise en scène : Thibault Perrenoud
Avec : Marc Arnaud, Mathieu Boisliveau, Chloé Chevalier, Éric Jakobiak, Guillaume Motte et Aurore Paris
Durée : 1 h 55
Interview de Thibault Perrenoud
Photo © Alice Colomer
Théâtre de la Croix-Rousse • place Joannès Ambre • 69004 Lyon
Du 9 au 18 janvier 2019, du mardi au vendredi à 20 heures, le samedi à 19 h 30, le dimanche à 15 heures
De 5 € à 27 €
Réservations : 04 72 07 49 49
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