« Le Misanthrope », Molière, Georges Lavaudant, Critique, Radiant-Bellevue, Caluire et Cuire

Éric Elmosnino, formidable Alceste

Trina Mounier
Les Trois Coups

Après 70 mises en scène (sans compter les opéras) dont Georges Lavaudant peut s’enorgueillir, l’infatigable passionné de théâtre s’affronte enfin à Molière. Il choisit la pièce la plus difficile, ni comédie ni tragédie, ou plutôt tout cela à la fois : « Le Misanthrope » qu’il a offert en prime time au Domaine d’O pour le Printemps des Comédiens. Avec Éric Elmosmino, qui donne de l’épaisseur au personnage.

Atrabilaire : on ne sait plus guère aujourd’hui ce que signifie ce qualificatif donné par Molière à son Misanthrope. Ce trait de caractère est pourtant au centre de l’intrigue. En effet, Alceste est perpétuellement grincheux, renfrogné, d’humeur sombre. C’est qu’il est sincère à l’excès, moraliste, presque rigide, ce qui le conduit à se scandaliser de son temps, trop léger, trop inconsistant, trop prêt à toutes les complaisances. Ce travers s’exprime dès l’ouverture dans son dialogue avec Philinte, qui montre, il faut bien le dire, de la constance face à ses débordements.

Lorsque Alceste vitupère contre la société de son temps, celle-ci écoute, répond le moins possible, temporise. Quand l’un se scandalise devant l’omniprésence d’une parole trop policée, qui sert à colmater les différences sans souci de la vérité, l’autre prône pour la paix sociale assurée par tous ces pieux mensonges. Mais Alceste est contradictoire : il aime furieusement Célimène, jeune, belle, inconséquente, drôle, coquette, mondaine, qui n’adore rien tant que s’amuser. Il est aussi l’ami de Philinte, autre contraire, l’honnête homme par excellence, champion du compromis au risque de la compromission, prophète de la tolérance.

Artifices

En toile de fond, ce monde-là choisit le divertissement décrié par Pascal – donc le plaisir et le rire – surtout s’il est perfide. Or, tous les coups sont permis dans ces jeux. En un mot comme en cent, le classique de Molière illustre un siècle qui mise sur l’artifice et l’illusion. Une période qui ressemble à la nôtre, si l’on veut bien y regarder de près.

Voilà pour l’intrigue et la raison d’aller voir Le Misanthrope. Mais il y en a d’autres : Lavaudant siège au Panthéon des grands metteurs en scène, dont la signature annonce splendeur et profondeur, précision et excellence. Et il sait s’entourer d’interprètes prestigieux, au premier rang desquels Éric Elmosmino au jeu subtil et ambigu, qui donne de l’épaisseur au personnage, et Mélodie Richard, légère, élégante, séduisante, émouvante aussi.

Une perfection légère et subtile

Bien entendu, Georges Lavaudant sait à merveille faire dire les alexandrins de Molière. La diction impeccable des comédiens ne nuit pas à l’expression de leurs émotions. On les entend, on les reconnaît, mais on les oublie pour ressentir la douleur et la colère d’Alceste, la coquetterie de Célimène. Il serait injuste de ne pas citer dans cette distribution Alysia Mabe, dans le rôle d’Éliante, le pendant féminin de Philinte, ou Luc-Antoine Diquéro et Mathurin Voltz, qui campent avec beaucoup d’allure, dans les costumes signés Jean-Pierre Vigier, les petits marquis ridicules qui rient de tout, sans s’apercevoir qu’on rit d’eux.

Puisque nous évoquons le nom de Jean-Pierre Vigier, compagnon de toutes les créations de Georges Lavaudant à la scénographie, parlons décor : très surprenant, celui-ci réduit le plateau avec une galerie des glaces qui masque le fond de scène, ne laissant place qu’à l’apparence. Ces miroirs oxydés ne renvoient qu’imparfaitement le reflet de ceux qui jouent devenant nous, comme des fantômes. Mais ils brillent par instants des flashs de photographes imaginaires. Pour compléter l’idée formidable du scénographe (en parfait accord avec Lavaudant aux lumières), cette galerie pivote sur elle-même pour découvrir l’envers du décor, le vestiaire de Célimène composé d’un nombre incalculable de costumes chatoyants, seule concession à la couleur dans un univers en noir et blanc.

Ce Misanthrope est une incontestable réussite qui nous fait traverser les siècles sans que nous nous en rendions compte.

Trina Mounier


Mise en scène : Georges Lavaudant
Avec : Éric Elmosnino, Astrid Bas, Luc-Antoine Diquéro, Anysia Mabe, François Marthouret, Aurélien Recoing, Mélodie Richard, Thomas Trigeaud, Bernard Vergne, Mathurin Voltz
Dramaturgie : Daniel Loyola
Scénographie et costumes : Jean-Pierre Vigier
Création lumière : Georges Lavaudant & Cristobal Castillo-Mora
Création son : Jean-Louis Imbert
Durée : 2 h 10

Radiant-Bellevue • 1, rue Jean Moulin • 69300 Caluire et Cuire
Les 2 et 3 décembre 2025
Tarifs : de 20 € à 40 €
Réservations : billetterie en ligne• Tel. : 04 72 10 22 19

Tournée :
• Le 5 décembre, Le Toboggan, à Décines
• Le 16 décembre, Théâtre La Colonne, à Miramas
• Le 7 janvier 2026, Théâtre Théo Argence, à Saint-Priest
• Le 10 janvier, Le Figuier blanc, à Argenteuil
• Du 14 au 25 janvier, Athénée, Théâtre Louis Jouvet, à Paris
• Les 30 et 31 janvier, Maison des Arts du Léman, à Thonon

À découvrir sur Les Trois Coups :
Le Roi Lear, mise en scène de Georges Lavaudant, par Trina Mounier

Photos : © Marie Clauzade

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