« Le Nid de cendres », Simon Falguières, La FabricA, Festival Avignon 

Le-Nid-de-cendres-Simon-Falguieres-cie-le-K © Christophe Raynaud de Lage

L’étoile brille haut pour Simon Falguières et sa troupe

Par Léna Martinelli
Les Trois Coups

Spectacle fleuve de 13 heures (entractes compris), « Le Nid de Cendres » est le fruit d’une aventure collective de huit ans, dont l’intégrale est jouée pour la première fois au Festival d’Avignon. Cette ambitieuse recherche autour d’un théâtre épique contemporain a accompagné la vie des membres de la Compagnie Le K, laquelle a grandi avec cette formidable déclaration d’amour au théâtre. Impressionnant !

Les sept chants qui nous embarquent dans cette flamboyante épopée se déroulent sur trois décennies. Comme la pomme coupée en son centre, deux mondes coexistent mais s’ignorent. D’un côté, l’Occident en pleine autodestruction et, de l’autre, un pays de conte de fées également en péril. Alors que gronde une révolte entre les « Pas grand-chose » et les « Monstres en costard », les parents du jeune Gabriel l’abandonnent à une troupe de comédiens ambulants. La princesse Anne, elle, vient au monde dans un royaume qu’elle choisit de quitter de son plein gré, à la force de l’âge. De cette double naissance découlent mille histoires car, de part et d’autre, les deux héros, guidés par des forces surnaturelles, entreprennent des odyssées. Le voyage qui rapprochera ces deux âmes est évidemment semé d’embûches, mais telles « deux moitiés de pomme », celles-ci doivent se réunir pour le salut de leur monde respectif.

Du théâtre de texte au service de la fable

Dans cette pièce baroque, par sa construction comme par sa forme, les époques se télescopent, les registres se mêlent et les références abondent. Ainsi, croise-t-on les ombres de Shakespeare, Homère ou Sophocle. Sacrifices, présages, conflits, coups bas et rebondissements truculents tiennent en haleine le public qui rêve aussi, de bout en bout. L’univers millénaire des songes fait écho à notre présent. Si les courbes détraquées de la finance, le brasier, bref « la fin de l’ère des tours » évoquent clairement nos temps modernes, le récit brasse large. On entend « le vlagadam du monde », mais encore plus les étoiles.

Autour des enfants ou de la reine, on retient des figures marquantes, comme celles du père, Madame Loyal, le frère mal-aimé ou encore l’allégorie du Temps et de la Mort. Simon Falguières change volontiers les archétypes du conte en personnages de théâtre. Cette écriture de l’oralité est portée par le souffle des acteurs.

Doyen de cette jeune troupe, John Arnold joue à la fois le roi et le chef du Théâtre des campagnes, père d’adoption de Gabriel. Les 16 autres comédiens forment une distribution plutôt équilibrée. Sans micro, ils s’emparent avec fougue de cette impressionnante partition (une soixantaine de personnages). Le plateau est un vaste terrain de jeu ou chacun trouve sa place. Quel marathon !

Épopée et poésie

Il fallait du cran pour relever un tel défi. Si jeune (34 ans), Simon Falguières qui écrit depuis l’âge de 13 ans, maîtrise aussi la mise en scène, même s’il se considère comme un « comédien poète qui écrit pour d’autres comédiens ». En tout cas, il nous a concocté une compotée digne des grands chefs. Particulièrement réussie, la première partie (le chant de l’abandonné) concentre tous ces talents : inventivité visuelle, comique de situation, art de la narration, direction d’acteur précise, sens du rythme et des transitions. Comme dans les séries à succès, les aventures, riches en péripéties, doivent maintenir l’attention du public. Malgré tout, sur les 13 heures, on relève des longueurs qui laissent à penser qu’une telle durée ne se justifiait peut-être pas, même pour se perdre dans le labyrinthe des limbes.

Le-Nid-de-cendres-Simon-Falguieres-cie-le-K © Christophe Raynaud de Lage
© Christophe Raynaud de Lage

On pense au Théâtre du Soleil pour l’hommage à l’artisanat du théâtre et l’onirisme, à Olivier Py ou Wajdi Mouawad pour le goût de l’épopée et le lyrisme. Étoffe en guise d’écume, servantes pour figurer la forêt des rencontres, néons blafards pour signifier le monde moderne, ou encore cols à dentelles pour nous transporter au royaume des contes… La scénographie, constituée de modules réversibles et mobiles, de chaises, de matières et de judicieux accessoires, regorge d’ailleurs de très belles idées. Le merveilleux apparaît selon un principe métonymique (glissement de sens). L’imaginaire est à la fête.

Le théâtre comme rempart à la déliquescence

Les pièces de Simon Falguières commencent toutes par une apocalypse, avec une situation qui nécessite de reconstruire du lien : « C’est dans le sang que tout naît », profère l’un des personnages. Le Nid de cendres développe le motif littéraire de la brisure du monde, avec son endroit et son envers. L’espoir réside ici dans la destinée des enfants, mais aussi dans la création. Et si le théâtre pouvait sauver le monde ?!

Quel magnifique hommage au spectacle vivant ! Le regard distancié montre la troupe au travail, les constantes métamorphoses au service de la fable. Cette boîte à jouer joue efficacement son rôle et la mise en scène exploite habilement les codes du thriller psychologique, de la farce, du drame. Les commentaires de la narratrice et les pointes d’humour facilitent les allers-retours entre illusion et réalité. Tout cela est très bien maîtrisé.

Utopie

Au-delà des terres dévastées par le « Grand incendie », Simon Falguières livre donc malgré tout un théâtre lumineux. Du désert de cendres naît une luxuriante oasis. Humaniste, il veut croire au « ré-enchantement du monde par la parole » et en l’Homme. C’est important que l’on ait, au moins dans les salles de théâtre, encore un peu d’espoir, non ?

En tout cas, le public n’en demande pas moins. Les applaudissements sont nourris.  Juste reconnaissance pour Simon Falguières et sa bande qui font partie des compagnies émergentes fauchées en plein vol par le confinement. Nous devions découvrir son travail, justement au Théâtre national de la Colline, mais la pandémie en avait décidément autrement. À cause de la crise, pas moins de soixante représentations ont été annulées ou reportées. Depuis, plusieurs spectacles sont en cours de création ou de diffusion sur tout le territoire français.

Très tôt « tombé dans la marmite du théâtre », Simon Falguières (fils d’un metteur en scène à la tête de la Scène nationale Évreux-Louviers pendant trente ans) est très attaché à l’histoire de la décentralisation. Artiste associé au Théâtre du Nord et au Préau – Centre dramatique national de Vire, il prévoit même l’ouverture d’un lieu de vie et de création en milieu rural, dans l’Eure : le Moulin de l’Hydre. Une future maison d’artistes et une fabrique théâtrale rurale au servie d’un théâtre populaire exigeant. Une autre épopée à suivre ! 🔴

Léna Martinelli


Le Nid de cendres, de Simon Falguières

Le texte vient d’être édité chez Actes Sud-Papiers

Site de la cie Le K
Écriture et mise en scène : Simon Falguières
Avec : John Arnold, Antonin Chalon, Mathilde Charbonneaux, Camille Constantin Da Silva, Frédéric Dockès, Élise Douyère, Anne Duverneuil, Charlie Fabert, Simon Falguières, Charly Fournier, Victoire Goupil, Pia Lagrange, Lorenzo Lefebvre, Charlaine Nezan, Stanislas Perrin, Manon Rey, Mathias Zakhar
Scénographie : Emmanuel Clolus
Création lumière : Léandre Gans
Création sonore : Valentin Portron
Création costumes : Clotilde Lerendu, Lucile Charvet
Accessoiriste : Alice Delarue
Assistant mise en scène : Ludovic Lacroix
Collaboration artistique : Julie Peigné

Durée : 13 heures
11 heures • Le Chant de l’abandonné (durée 1 h 35)
12 h 35 • Entracte 30 min
13 heures • Le Chant de l’endormie (durée 1 h 35)
14 h 40 • Entracte 1 heure
15 h 40 • Le Chant de l’aveugle (durée 1 heure)
16 h 40 • Pause 15 min
16 h 55 • Le Chant traversé (durée 1 h 05)
18 heures • Entracte 30 min
18 h 30 • Le Chant du véritable abandonné (durée 1 h 40)
20 h 10 • Entracte 1 heure
21 h 10 • Le Chant de la réunion (durée 1 h 10)
22 h 20 • Pause 15 min
22 h 35 • Le Chant d’Auguste (durée 1 h 05)

La FabricA • 11, rue Paul Achard • 84000 Avignon
Du 9 au 16 juillet 2022 (relâche les 11 et 14), à 11 heures
Tarif unique : 45 €
Réservations : 04 90 27 66 50 ou en ligne

Dans le cadre du Festival d’Avignon, du 7 au 26 juillet 2022
Plus d’infos ici

Tournée :
• Du 10 au 12 mars 2023, à la Comédie de Caen, centre dramatique national de Normandie
• Du 11 au 20 mai au Théâtre de Nanterre-Amandiers, centre dramatique national
• Les 3 et 4 juin au Théâtre de la Cité, centre dramatique national Toulouse Occitanie

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