Des histoires à applaudir debout
Par Cédric Enjalbert
Les Trois Coups
« Roméo et Juliette », c’était lui. « La Mégère à peu près apprivoisée », encore lui. Le brillant Alexis Michalik débarque à Avignon avec une création, reprise à Paris dès la rentrée : « le Porteur d’histoire ». Récit tourbillonnant inspiré des traditions orales, ce vertigineux voyage réveille l’imaginaire. Il enchante.
Brodées, fabriquées de toutes pièces, tissées, les belles histoires sont les histoires saisies sur le fil. Alexis Michalik l’a bien compris, lui qui monte un magistral récit choral, nouant les liens entre les siècles, entre l’Histoire et les récits de famille, entre les anonymes et les plus célèbres. Ils sont cinq, armés de tabourets-de-fonction et d’un portant où pendent les peaux de leurs personnages, qu’ils enfilent plus vite que leur ombre. Une lumière changée, un accent, et aussitôt une nouvelle histoire est née, qui s’ajoute aux autres, l’enrichissant, la déroutant. Tout à la fois racine et arbre, rhizome et ramage, cette fable touffue plonge dans le passé – Moyen Âge, Révolution, xixe siècle florissant – pour aller de l’avant. Elle s’inspire en cela des traditions orales – des histoires passées écrites au présent, pour l’avenir – augmentées et anoblies par chacun de leurs passeurs.
Et quels passeurs, ces cinq acteurs éblouissants de rigueur et d’aisance ! Éric Herson-Macarel, le porteur d’histoire principal, narrateur en chef, exerce un pouvoir quasi hypnotique, entraînant dans sa course folle quiconque aura tendu l’oreille. Le grain de sa voix et la force de son regard le rendent maître en conviction : un conteur hors pair. Il amorce l’histoire comme d’autres mettent le feu aux poudres : aventurier égaré un soir et accueilli dans un foyer au Maghreb, par une heureuse panne de voiture, il quitte la route pour sillonner d’autres pistes, balisées par l’histoire de cette famille qui recèle un trésor : une bibliothèque riche de volumes anciens. L’un d’eux s’ouvre et d’entre ses pages surgissent une kyrielle d’historiettes ou de récits glorieux, d’anecdotes et d’évènements, des dizaines de personnages qu’Amaury de Crayencour, Évelyne el‑Garby Klai, Magali Genoud et Régis Vallée endossent avec brio.
Ce jeu de piste qu’ils tricotent sans répit ravive nos désirs d’enfants avides d’histoires, mais ravit aussi nos fantasmes d’hommes heureusement inaboutis, en quête de racines, d’une identité. Rassurant. Grâce à un enchaînement cinématographique – fait de courtes séquences et de fondus élégants – néanmoins très littéraire, fondé sur un jeu d’associations, de dérivations, d’errements féconds, la joyeuse équipée agence une mosaïque de récits contre les idées reçues. La joliesse de la fable réside en deux enseignements : l’identité n’a jamais lieu, c’est une histoire sans fin, un palimpseste ; toute vie est une narration, nous ne sommes jamais tout à fait enracinés, ni jamais tout à fait vierges de toute histoire, il revient à chacun de se choisir ses enracinements. Porteur d’espoir. ¶
Cédric Enjalbert
Le Porteur d’histoire, d’Alexis Michalik
Mises en capsules • 77, rue Vauvenargues • 75018 Paris
Mise en scène : Alexis Michalik
Avec : Amaury de Crayencour, Évelyne el‑Garby Klai, Magali Genoud, Éric Herson‑Macarel, Régis Vallée
Lumière : Anaïs Souquet
Costumes : Marion Rebmann
Son : Clément Laruelle
Théâtre des Béliers • 53, rue du Portail-Magnagnen • 84000 Avignon
Réservations : 04 90 82 21 07
Du 8 au 31 juillet 2011 à 22 h 30
Durée : 1 h 30
18 € | 12,50 €
Théâtre 13 / Jardin • 103A, boulevard Auguste‑Blanqui • 75013 Paris
Du 4 septembre au 14 octobre 2012
Métro : Glacière
Réservations : 01 45 88 62 22 (du lundi au vendredi, de 13 h 30 à 18 h 30, le samedi de 14 heures à 18 h 30, le dimanche de 13 h 30 à 14 h 30)
Prix des places : 24 € ; tarif réduit 16 € (le 13 de chaque mois : tarif unique à 13 €), 11 € (scolaires), 6 € (allocataires du R.S.A.)