Qu’il est beau le postillon !
Par Maxime Grandgeorge
Les Trois Coups
Michel Fau et Sébastien Rouland ressuscitent avec fantaisie « Le Postillon de Lonjumeau » d’Adolphe Adam, un titre emblématique de la production lyrique française du début du XIXème siècle. L’Opéra Comique accueille cette œuvre à mi-chemin entre théâtre et opéra, dans une version rafraîchissante et délicieusement kitsch.
Il aura fallu attendre plus d’un siècle pour pouvoir entendre à nouveau résonner dans la salle Favart Le Postillon de Lonjumeau. Victime de son succès (près de 600 représentations en moins de 60 ans), cet ouvrage composé par Adolphe Adam en 1836 avait quitté le répertoire de l’Opéra Comique depuis 1894. L’extravagant Michel Fau et le chef d’orchestre Sébastien Rouland ont associé leurs talents pour redonner vie à cet œuvre emblématique, dans la salle qui l’a vu naître.
L’intrigue du Postillon de Lonjumeau est double. L’une relève typiquement des récits d’ascension sociale, très appréciés dans la première moitié du XIXe siècle – un postillon et une aubergiste parviennent à s’extraire de leur condition pour devenir respectivement chanteur d’opéra et châtelaine. L’autre est digne d’un improbable vaudeville – un homme épouse sans le savoir deux fois la même femme ! À partir de ces deux fils narratifs, les librettistes Adolphe de Leuven et Léon-Lévy Brunswick conçoivent une série de péripéties rocambolesques qui mettent à mal les convenances et à dure épreuve les nerfs des personnages.
Le récit se déroule en plein XVIIIe siècle, sous le règne de Louis XV. Chapelou, postillon à Lonjumeau, petite ville relais à mi-chemin entre Orléans et Paris, vient d’épouser Madeleine, une jeune aubergiste qui a renoncé à l’héritage de sa riche tante pour se marier. Alors que tout le village célèbre leurs noces, surgit un voyageur pressé qui ordonne à Chapelou de le conduire sur le champ à Paris. Il s’agit du marquis de Corcy, administrateur de l’Opéra royal, que Louis XV a chargé de trouver un ténor.
Charmé par la voix naturelle du postillon, l’intendant du roi lui propose de faire carrière à la capitale en tant que chanteur. Chapelou cède à ses avances et quitte son épouse. Quand on retrouve ces personnages, dix ans plus tard, Chapelou, qui a pris le nom de Saint Phar, est devenu un célèbre ténor et Madeleine, devenue Madame de Latour, mène la vie de châtelaine après avoir hérité de sa riche tante. Le chanteur, qui ne reconnaît pas son épouse rendue méconnaissable par sa riche toilette, va tomber amoureux d’elle une seconde fois. Madeleine est bien décidée à tirer parti de cette passion naissante pour prendre sa revanche.
Fantasme et décadence
Le metteur en scène Michel Fau, qui décrit Le Postillon de Lonjumeau comme « la bourgeoisie triomphante de la Monarchie de Juillet qui fantasme sur le règne décadent de Louis XV », ne lésine ni sur le burlesque, ni sur la fantaisie pour donner corps à ce pastiche opératique. Sa mise en scène baroque s’empare avec originalité de l’œuvre d’Adam, dont la partition et le livret se prêtent fort bien aux folies scéniques.
Il orchestre un ballet excentrique au jeu parfois outrancier, qui emprunte autant au genre de l’opéra-comique qu’au vaudeville ou à la revue musicale. Le résultat, qui frappe par son originalité visuelle, flirte délibérément avec le « mauvais » goût. Le décorateur Emmanuel Charles, le couturier-costumier Christian Lacroix, l’éclairagiste Joël Fabing et la maquilleuse Pascale Fau reprennent artifices et conventions du XVIIIe siècle pour mieux les détourner, afin de créer des tableaux colorés et kitsch à souhait. Froufrous, perruques et décorations en tout genre rivalisent de ridicule.
La puissance du contre-ré
Michael Spyres, le plus français des ténors américains, habitué des productions de l’Opéra Comique, est merveilleux en postillon séducteur et vantard. Son léger accent américain confère au personnage de Chapelou / Saint Phal un charme suranné et précieux qui convient parfaitement au rôle. Il est accompagné par la ravissante Florie Valiquette, superbe dans le rôle de Madeleine / Madame de Latour, qui se montre aussi à l’aise en aubergiste populaire qu’en dame de la haute société.
Au-delà de la remarquable agilité vocale de ces deux interprètes – rares sont ceux qui peuvent atteindre le contre-ré du célèbre air du postillon comme le fait Michael Spyres –, on découvre deux comédiens habiles, particulièrement doués dans le registre comique, qui forment un couple irrésistible. Florie Valiquette, notamment, fait preuve d’une remarquable expressivité dramatique, multipliant avec talent les grimaces maniérées.
Franck Leguérinel, qui interprète un marquis de Corcy guindé et précieux, Laurent Kubla, forgeron bêta promu chanteur cabotin, et Julien Clément, qui apparaît brièvement dans le rôle de Bourdon, escroc de pacotille, viennent compléter ce casting vocal irréprochable. Michel Fau est, quant à lui, parfait travesti en femme coquette, dans le rôle de Rose, dame de compagnie de Madame de Latour – hilarant !
On prend beaucoup de plaisir à découvrir ce Postillon de Lonjumeau injustement tombé en désuétude. La farce imaginée par Michel Fau rend justice à la partition désopilante d’Alphonse Adam, parfaitement exécutée par l’orchestre de l’Opéra de Rouen et le Chœur Accentus sous la direction de Sébastien Rouland.
« Oh! qu’il est beau le postillon de Lonjumeau ! », s’exclame le chœur des villageois, dans la célèbre « Ronde du Postillon » du premier acte. On ne saurait mieux résumer cette belle production, qui remet au goût du jour le genre de l’opéra-comique, si caractéristique de la culture lyrique française. ¶
Maxime Grandgeorge
Le Postillon de Lonjumeau, d’Adolphe Adam
Musique : Adolphe Adam
Livret : Adolphe de Leuven et Léon-Lévy Brunswick
Direction musicale : Sébastien Rouland
Mise en scène : Michel Fau
Avec : Michael Spyres, Florie Valiquette, Franck Leguérinel, Laurent Kubla, Michel Fau, Yannis Ezziadi et Julien Clément
Décors : Emmanuel Charles
Costumes : Christian Lacroix
Lumières : Joël Fabing
Maquillage : Pascale Fau
Assistante musicale : Stéphanie-Marie Degand
Assistant costumes : Jean-Philippe Pons
Chef de chant : Cécile Restier
Avec l’orchestre de l’Opéra de Rouen-Normandie et le Chœur Accentus
Production de l’Opéra Comique en coproduction avec l’Opéra de Rouen-Normandie
Durée : 2 h 45 avec entracte
Opéra Comique • Place Boieldieu • 75002 Paris
Du 30 mars au 9 avril 2019, 20 heures en semaine, 15 heures le dimanche
De 6 € à 138 €
Réservations : 01 70 23 01 44