Un spectacle cardiotonique
Par Élisabeth Hennebert
Les Trois Coups
Patrick Pelloquet met en scène une équipe de sexagénaires déchaînés et nous soigne à coups de fous rires : joli pied de nez à la dictature du jeunisme !
Du Malade imaginaire à Knock, le charlatan ridicule fait recette au théâtre. Calaferte, serial auteur sur le thème du microcosme familial, aborde ici son sujet favori sous l’angle médical. En d’autres termes, cette pièce est centrée sur le médecin de famille et ses rapports avec un quarteron de vieillards (papa, maman, papi, mamie). Après une demi-heure de drôlerie incontestable (le dramaturge a le sens de la réplique qui fait mouche), le texte tourne un peu en rond, bafouille et radote. Les emprunts à Molière et à Jules Romains sont à peine repeints à la Bétadine ® et la copie est moins amusante que l’original. Le seul coup de théâtre qui pourrait relancer l’action est gâté par un programme distribué à l’entrée de la salle et qui, soucieux de bien faire, nous déflore la surprise. En fin de compte, ce n’est pas par son scénario sur les gens de médecine que ce spectacle innove.
En revanche, la prouesse du metteur en scène est remarquable d’audace, dans un paysage théâtral marqué par le double impératif catégorique de beauté et de jeunesse pour vendre des entrées. À rebours des lois du commerce, Pelloquet choisit de forcer le trait dans le sens du hideux et du pathétiquement ringard. Composant une esthétique à mi-chemin entre les Deschiens et les Bidochon, il nous façonne des personnages laids, teigneux, gâteux ou tyranniques, dans un décor intérieur banalement immonde. Et surtout, il ne nous sert sur le plateau que des comédiens d’âge mûr, voire très mûr : même le rôle qui aurait pu être tenu par un gamin est artificiellement usé. Du coup, l’œuvre n’est plus axée sur la médecine mais sur la vieillesse. Ici est la réussite du spectacle.
« Moderne = future vieillerie » 1
Naturellement doués et intelligemment dirigés, les six comédiens se donnent avec une générosité qui force le respect et arrache des larmes de rire à plus d’un moment. Gérard Darman est un grand-père sourd et boulimique aussi attachant qu’il est collant. On reste pantois devant les talents de contorsionniste d’Yvette Poirier, spécialité plutôt inattendue pour interpréter le rôle de l’aïeule. Christine Peyssens forme avec Patrick Pelloquet un couple prodigieusement présent et crédible alors même qu’il est caricatural. On gratouille et on chatouille ici quelques vérités sur la tendresse entre proches, qui ressemble souvent à un prurit, oscillant entre irritation insupportable et envie d’y retourner néanmoins.
Oser à ce point‑là tourner le dos à la modernité en même temps qu’au marketing, il fallait le faire quand même ! Mais la performance de seniors aussi resplendissants de vitalité est enthousiasmante. Le bonheur d’être en scène est contagieux, et c’est le virus véhiculé par ces comédiens qui nous contamine gravement. On ressort atteint d’une rigolomanie incurable. ¶
Élisabeth Hennebert
- Définition de Louis Calaferte dans Petit dictionnaire à la manivelle, l’œil de la lettre, 1993.
le Serment d’Hippocrate, de Louis Calaferte
Mise en scène : Patrick Pelloquet, assisté d’Hélène Gay
Avec : Gérard Darman, Pierre Gondard, Patrick Pelloquet, Christine Peyssens, Yvette Poirier et Georges Richardeau
Scénographie : Sandrine Pelloquet
Costumes : Anne‑Claire Ricordeau
Lumière : Emmanuel Drouot
Maquillage : Carole Anquetil
Théâtre 14 • 20, avenue Marc‑Sangnier • 75014 Paris
Réservations : 01 45 43 25 48
Métro : Porte‑de‑Vanves (ligne 13)
Jusqu’au 22 avril 2017 les mardi, vendredi et samedi à 20 h 30, les mercredi et jeudi à 19 heures, matinées les samedis à 16 heures
Durée : 1 h 25
Tarifs : 25 €, 18 €, 11 € et 7 €