Nina comme métaphore
Par Laura Plas
Les Trois Coups
Dans « Le Silence et la peur », David Geselson expérimente une forme ambitieuse où l’histoire intime de Nina Simone devient le miroir de la grande et sale Histoire américaine. Un spectacle intelligent et porté par une très bonne distribution, mais qui mériterait d’être un peu resserré.
Pas de centenaire, de commémoration en vue. Pourtant, Nina Simone est au cœur de cette saison théâtrale. Elle sera bientôt convoquée sur les planches du Théâtre de Belleville, et la voici déjà mise en scène par la Compagnie Lieux-dits au Théâtre des Quartiers d’Ivry. Mais que les fans et les mélomanes se le disent, l’histoire qu’on y entend ne comporte presque pas de mélodie. On y crie, on y tente en vain de panser des plaies immémoriales, mais, paradoxalement, on ne chante pas.
C’est que, grand amateur de l’interprète, David Geselson n’a justement pas voulu tenter une imitation hasardeuse de la chanteuse. Surtout, son propos se situe ailleurs : il choisit en effet de voir avant tout en Nina Simone la descendante d’une Cherokee et d’un esclave noir, une femme marquée par la mémoire douloureuse de ses pères. C’est pourquoi, il lie violence intime (familiale ou conjugale) et violence collective, parfois de manière saisissante grâce à l’emploi judicieux de la vidéo.
Les joyaux du face à face avec le public
Ainsi, même si le poids de quatre siècles de crimes pèse parfois un peu lourd sur le spectacle, la dramaturgie tisse habilement les liens, crée des échos. De plus, le propos est porté par une distribution cohérente : David Geselson y associe des acteurs français pour maintenir une fiction et des acteurs afro-américains, qui ont un héritage commun avec Nina Simone.
Or, ces comédiens sont remarquables et le choix de leur offrir de grands moments face au public les met en valeur. Par exemple, on entre dans le spectacle grâce au prélude sensible portée par Laure Mathis (toujours aussi juste que dans Lettres à D), on peut affronter la masse d’informations historiques grâce au talent et à l’engagement d’Elios Noël. Quant à Nina Simone, elle est incarnée par la splendide Dea Beasnel qui sait faire entendre la force et la complexité de son personnage.
Une belle scénographie, des lumières ciselées qui offrent des zones de pénombre et des surgissements sont d’autres atouts de la proposition. Reste simplement à déployer cette ombre dans le texte lui-même, à faire plus confiance à l’implicite, c’est-à-dire en définitive au public, qui n’a peut-être pas besoin de tant de commentaires. « Don’t explain ! », comme dirait Nina. ¶
Laura Plas
Le Silence et la peur, de David Geselson
Texte et mise en scène : David Geselson
Collaboration à la mise en scène et interprétation : Dee Beasnael, Craig Blake, Laure Mathis, Elios Noël, Kim Sullivan
Durée : 2 heures
À partir de 14 ans
Théâtre des Quartiers d’Ivry • 1, place Pierre Gosnat • 94200 Ivry-sur-Seine
Du jeudi 28 février au dimanche 8 mars, les jeudi 28 février et 5 mars à 19 heures, le mardi 3 mars et les vendredis 28 février et 6 mars à 20 heures, les samedis 29 février et 7 mars à 18 heures, et les dimanches 1er et 8 mars à 16 heures, relâches les lundis
De 7 € à 24 €
Réservations : 01 43 90 11 11
À découvrir sur Les Trois Coups :
☛ Doreen, de David Geselson d’après André Gorz, Théâtre de La Bastille, par Laura Plas
☛ Bovary, de Tiago Rodrigues, Théâtre de Villefranche, par Trina Mounier