« l’École des femmes », de Molière, les Célestins à Lyon

l’École des femmes © Marc Vanappelghem

À malin maligne et demie

Par Trina Mounier
Les Trois Coups

Le directeur du Théâtre du Carouge à Genève, Jean Liermier, grand connaisseur en classiques, a démontré hier avec brio que les pièces du répertoire les plus connues offrent encore des réserves d’émotion et d’intelligence.

On croit tout savoir de l’École des femmes : les répliques célèbres – « Le petit chat est mort » – nous trottent dans la tête, et les histoires de barbons amoureux de jeunettes semblent se ressembler toutes. Quant au prénom d’Agnès, c’est toute l’innocence de la prime jeunesse qui lui semble attachée. Et pourtant cette pièce‑ci est tout à fait particulière : écrite en alexandrins, elle fait partie des « grandes » comédies de Molière, et ce n’est pas pour rien que, avec elle, commence le succès de son auteur.

Arnolphe a fait élever à l’ombre d’un couvent la petite fille de quatre ans qu’il a recueillie autrefois. Avec ordre de ne lui enseigner que les vertus nécessaires aux femmes : obéir et coudre. Méfiant à l’extrême devant l’ingénieuse diablerie des femmes, il croit benoîtement que sottise et innocence vont de pair et que cela vaut pour le mari garantie absolue d’honnêteté et de tranquillité. Quand Molière écrit l’École des femmes, il vient d’épouser la fille de sa compagne, de vingt ans sa cadette, Armande, qui le trompera de joyeuse manière… Façon pour lui de conjurer le sort ? Lucidité extrême ? Sublime élégance de l’ironie sur soi-même ? Toujours est-il qu’il a apporté à la composition de ces personnages une grande attention et une profonde tendresse, leur conférant cette subtilité, cette complexité qui leur permettent d’arriver sans une ride jusqu’à nous.

Comme un oiseau sans ailes

Pour illustrer cette volonté de tenir Agnès hors du monde, Jean Liermier a installé un petit cabanon cerné d’un parapet tout en haut d’un grand arbre, qu’il est impossible d’escalader sans le secours d’une échelle soigneusement cachée et fort incommode d’emploi. Mais, loin du monde, Agnès est aussi loin de son tuteur. Elle rêve là-haut, et sa solitude que n’encombre aucune pensée, n’ayant pour teinte que l’ennui, est tout acquise à la survenue d’autre chose ou de quelqu’un…

Et Molière de nous montrer que l’esprit vient aux filles quoi qu’on en veuille… Et Jean Liermier de faire de son Agnès, lumineuse Lola Riccaboni, un être épris de liberté autant que d’amour. La scène où Arnolphe la fait descendre de sa cabane est éblouissante : pendant quelques minutes, Lola Riccaboni mène une ronde folle tout autour du plateau ; bras étendus comme si elle voulait s’envoler, elle semble en apesanteur, embrassant le maximum d’espace, sautant comme un cabri, ivre de joie, de mouvement, délivrée pour de bon, ne s’arrêtant que pour reprendre souffle et s’effondrer au pied de l’arbre, en nage, heureuse.

L’effondrement d’un monde

Le traitement des personnages est d’ailleurs tout à fait intéressant. Arnolphe, qu’interprète avec brio Gilles Privat, n’est pas seulement le prototype du barbon séduit par la jeunesse ni le jaloux comme le veut la légende attachée à son nom. Il devient un personnage très moderne, un homme qui simplement ne comprend pas ce qui lui arrive, car il pensait avoir tout contrôlé, s’être prémuni contre tout hasard et toute mauvaise fortune. Dès la première scène avec son ami, il défend son point de vue sur lequel il a réfléchi, la théorie qu’il a construite. Devant Agnès, certes, il connaît quelque faiblesse, mais c’est l’incompréhension, la chute de ses certitudes les plus intimes, plus que l’amour, qui le font vaciller. Il les vit comme une perte de pouvoir inattendue dans un monde qu’il croyait soumis à la raison. Gilles Privat joue à merveille l’ahurissement devant cette désillusion cruelle.

La mise en scène, d’ailleurs, accentue cette dimension toute-puissante du personnage en faisant d’Arnolphe le maître du plateau : un sifflement ou un coup de tête et le rideau s’ouvre sur la cabane, un regard courroucé et le rideau se ferme. Idée de génie qui prend tout son sens dans la scène finale où c’est le décor tout entier qui s’effondre à l’instar de la raison d’Arnolphe.

L’École des femmes reste cependant une comédie, et l’on rit beaucoup, par exemple, de voir Arnolphe lui-même s’endormir à la lecture des fameuses maximes. Sous la houlette de Jean Liermier, il demeure ce que Molière voulait en faire, un ridicule face à l’innocence triomphante qui découvre en elle-même le jugement nécessaire à la critique de ce qu’on veut lui imposer, la force de s’envoler.

Enfin, il faut dire un mot de Simon Guélat qui confère à Horace, loin du jeune premier coincé, une insolence et une fraîcheur qui nous font comprendre Agnès. Tous les comédiens sont magnifiquement dirigés, et Jean Liermier nous offre ici deux heures et demie de théâtre qui filent en un clin d’œil. 

Trina Mounier


l’École des femmes, de Molière

Mise en scène : Jean Liermier

Avec : Rachel Cathoud, Jean‑Jacques Chep, Simon Guélat, Gilles Privat, Lola Riccaboni, Alain Trétout, Ferat Ukshini

Scénographie : Yves Bernard

Lumières : Jean‑Philippe Roy

Son : Jean Faravel

Costumes : Coralie Sanvoisin

Maquillages et coiffure : Katrin Zingg

Collaboration artistique : François Regnault

Assistant à la mise en scène : Robert Sandoz

Régie plateau : Ferat Ukshini

Régie lumière : Eusebio Paduret

Régie son : Olivier Gabus

Habillage et coiffure : Veronica Segovia

Photo : © Marc Vanappelghem

Production Théâtre du Carouge-Atelier de Genève

Les Célestins • 4, rue Charles‑Dullin • 69002 Lyon

Réservations : 04 72 77 40 00

http://www.celestins-lyon.org/

Du 9 avril au 21 avril 2013 à 20 heures, sauf dimanche à 16 heures, relâche le lundi

Durée : 2 h 15

De 9 € à 34 €

Rencontre avec l’équipe artistique le mercredi 17 avril 2013 à l’issue de la représentation

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