« l’École des femmes », de Molière, Théâtre de Villefranche

« l’École des femmes » © Jean-Christophe Bardot

Comédie noire

Par Trina Mounier
Les Trois Coups

Après le succès de « Ruy Blas » il y a deux ans, Robin Renucci et Christian Schiaretti, respectivement directeurs des Tréteaux de France et du T.N.P., font à nouveau équipage, le premier dans le rôle d’Arnolphe, le second à la mise en scène, avec une « École des femmes » impressionnante, qui prouve une fois de plus si besoin était que Molière a encore des choses à nous dire.

On aurait pu s’en douter vu le nombre de mises en scène aussi différentes que possible qui auront été données de cette comédie cette année. La pièce, cruelle et noire, ne semble pourtant que redire, certes en déployant le propos en alexandrins, la révolte de l’auteur contre les mariages forcés, contre ces lois qui donnent aux pères tous les droits sur leur fille, comme de conduire ces vierges, enfants encore, dans le lit de vieillards… Sauf que ce cri, pour authentique qu’il soit, est aussi celui d’un homme qui dans la vraie vie épousa une jeune fille de vingt ans sa cadette, qu’il éleva enfant et qui n’aura de cesse, en retour, de le tourner en ridicule… La douleur des hommes, il la connaît donc, tout autant qu’il dénonce la condition des femmes.

Arnolphe, donc, a recueilli enfant une orpheline qu’il a fait élever à l’écart du monde, dans un strict isolement : quelques points de couture doivent suffire à sa curiosité et éviter que ne germe dans cette cervelle intacte la moindre étincelle propre à rendre les femmes amoureuses et rouées. L’innocente ne doit surtout rien savoir, les livres étant des corrupteurs par essence. Les seules personnes à l’approcher sont, en dehors de lui-même, les deux valets stupides chargés de la surveiller. Mais le hasard se joue de ses plans, et Agnès voit passer Horace. Elle aura dès lors assez d’esprit pour manier le mensonge et la cruauté et ainsi faire vivre à son tuteur les affres de la jalousie.

Un crime parfait

Mais dans cette mise en scène de Christian Schiaretti, c’est le point de vue qui est original et surtout contemporain. On a toujours montré Agnès comme une innocente à qui l’amour donne des ailes et de l’intelligence, et vu dans l’École des femmes un propos optimiste : après tout, il s’agit bien d’une comédie et tout est bien qui finit bien. Ici, au contraire, Arnolphe a pleinement réussi son sinistre dessein : à force de solitude et d’ennui, son Agnès n’est qu’une idiote, une jeune fille à l’intelligence détruite à l’instar de ces enfants qu’on enfermait dans des jarres pour qu’ils en prennent la forme ou, plus récemment, de ces jeunes femmes maintenues en réclusion des années durant par des pères qui ont commis l’irréparable : empêcher leur être de se développer librement.

Cette Agnès, découverte de ce spectacle, c’est Jeanne Cohendy qui incarne ici une innocente dans le sens qu’on donnait autrefois au mot : elle sourit béatement aux mots d’Arnolphe, rit sans malice quand il ronfle à sa récitation des fameuses maximes. De même, si elle tombe amoureuse et que cela lui donne l’énergie de s’opposer, c’est dans une sorte de sursaut de la nature, de la « bête », qui doit bien s’exprimer quelque part. Ainsi, quand elle parle des émotions inédites que Horace fait naître en elle, c’est dans son corps, dans son ventre, qu’elle les situe.

Face à elle, Robin Renucci campe un vieillard dont toute la vivacité s’est retirée dans son rêve dément. Avec son masque de plâtre blanc, sa longue silhouette longiligne, il paraît machiavélique et effrayant. Vieilli pour les besoins de la mise en scène, il semble aussi par moments frêle et fragile. Loin de l’homme mûr séduisant, il donne vie à un barbon un peu décati, pitoyable. Son personnage trouble par ses facettes multiples.

Quant à Horace, il est interprété par Maxime Mansion, qui en fait un jeune homme étourdi et naïf, un rien benêt, dont l’extrême candeur face à la rouerie d’Arnolphe est sans doute le ressort de la réussite : aux innocents les mains pleines… Le reste de la distribution est d’aussi bonne tenue.

Concernant l’esprit de Molière, on le retrouve encore dans la simplicité de ce théâtre de tréteaux fait pour partir sur les routes et voyager léger : quelques paravents peints, quelques lanternes au sol, et tout est dit. L’essentiel reste le jeu des comédiens, adroitement dirigés par Christian Schiaretti. 

Trina Mounier


l’École des femmes, de Molière

Mise en scène : Christian Schiaretti

Assistant à la mise en scène : Maxime Mansion *

Avec : Robin Renucci, Laurence Besson *, Jeanne Cohendy, Philippe Dusigne **, Thomas Fitterer, Maxime Mansion *, Patrick Palmero, Jérôme Quintard *

* Troupe du T.N.P.

** Comédiens de la Maison des comédiens du T.N.P.

Scénographie et accessoires : Fanny Gamet

Création lumière : Julie Grand

Création costumes : Thibault Welchlin

Maquillages et coiffures : Roxane Bruneton

Photos : © Jean‑Christophe Bardot

Coproduction Tréteaux de France et T.N.P., centres dramatiques nationaux, conseil général de l’Eure

Théâtre de Villefranche • place des Arts • C.S. 90301 • 69665 Villefranche cedex

Tél. 04 74 68 02 89

www.theatredevillefranche.asso.fr

Du 9 octobre au 12 octobre 2013, du mardi au samedi à 20 h 30

Durée : 1 h 45

Tournée :

  • 15 et 16 octobre 2013 à Mâcon (71)
  • 18 octobre 2013 au Creusot (71)
  • 22 et 23 octobre 2013 à Andrézieux-Bouthéon (42)
  • 29 et 30 octobre 2013 à Meylan (38)
  • 5 et 6 novembre 2013 à Val-de‑Reuil (27)
  • 9 et 10 novembre 2013 à Suresnes (92)
  • 13, 14, 15 et 16 novembre 2013 à Nice (06)
  • 19 novembre 2013 à Arcachon (33)
  • 21 novembre 2013 à Pessac (33)
  • 23 novembre 2013 à Villeneuve-sur‑Lot (47)
  • 26 novembre 2013 à Miramas (13)
  • 28, 29 et 30 novembre 2013 à Blagnac (31)
  • 3 décembre 2013 à Bressuire (79)
  • 5 décembre 2013 à Aiffres (79)
  • 7 décembre 2013 à Parthenay (79)
  • 10 décembre 2013 à Nevers (58)
  • 12 et 13 décembre 2013 à Romans-sur‑Isère (26)

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