Viser les étoiles
Par Léna Martinelli
Les Trois Coups
Comment atteindre les sommets ? Avec « L’Empreinte » (cie L’Attraction céleste), coup de cœur du festival Le Mans fait son Cirque, et le Foutoir céleste (Cirque exalté), débordant d’énergie. D’emblée, commencer par ces deux propositions révèle la diversité créative des arts du cirque. Au-delà de l’antinomie : le partage généreux de ratés et réussites comme point commun.
Que faire quand l’un des deux partenaires flanche ? Quand tout fout le camp, L’Empreinte raconte ce qui nous relie les uns aux autres, les failles, le délitement et ce qu’il reste au plus profond de nous. Et si le ciel nous tombait sur la tête ? Là, dans le cercle de l’espace public, Servane Guittier et Antoine Manceau (cie L’Attraction Céleste) créent une communauté éphémère, où artistes et publics tissent, ensemble, des échanges rares sur un sujet profond. Difficile d’en dire plus sans déflorer la magie du spectacle. Son équilibre repose effectivement sur ses effets de surprise.
Sur le fil
Particulièrement adapté, le dispositif, petite jauge à ciel ouvert, nous permet de rentrer progressivement dans l’intimité de ce couple si attachant. Accueillis, comme à la maison, Isabelle, Lucien, Valérie et tous les autres prennent place. Arrivé en retard, Olivier se fait ovationner. Avec une telle proximité, on croirait se connaître depuis toujours.
L’ambiance est bon enfant, comme si l’on était une grande famille. Déjà, Servane identifie chacun d’entre nous et retient nos noms. Ensuite, bientôt débordée et dépassée, elle nous fait participer de façon très naturelle. Entre bourdes, doutes et déconvenues, ce duo d’anciens clowns joue sur le fil. Comment entrevoir des lendemains quand on vise la lune ? Certes, choir dans les étoiles n’est déjà pas si mal, mais c’est quand même un peu le foutoir ! Humour, musique et chant ne comblent pas le vide ; ils l’habitent avec une infinie délicatesse, quand la perte de repères suscite des vertiges… célestes.
Nourri des réactions du public et d’improvisations, le spectacle est un petit bijou de poésie. L’univers emprunte à l’art brut. Une plume, un oiseau vite bricolé, des mobiles improbables, une magnifique lithographie, agrémentent des numéros qui sont autant de pieds de nez à la précarité. Tout prétexte est bon pour faire évoluer le spectacle : ce jour-là, une tâche d’encre inattendue sera retenue pour être intégrée aux prochaines représentations. Comme un nez de clown qui colle à la peau !
Voilà du « pas grand chose » dont on gardera une trace (on espère) indélébile. Du « presque rien » qui dit l’essentiel : la puissance de l’amour. Nombre de spectateurs, touchés, essuient des larmes. Dans ce cadre verdoyant, ce joli arc-en-ciel d’émotions est plus qu’une éclaircie : il nous élève vers ce qu’il ya de meilleur en l’humain. Et franchement, assurer un numéro de claquettes en jouant de la clarinette n’est pas donné à tout le monde ! Tant de modestie fait chaud au cœur.
Entre ciel et terre
Après tant de délicatesse, difficile d’enchaîner sur un autre spectacle ! Comme son nom le suggère, le Cirque exalté déploie une sacrée énergie. À un tournant de leur histoire, l’ambitieux trio, qui passe au collectif, vise les étoiles. Guère avare de prouesses, cette bande-là est généreuse. Dans le Foutoir céleste, le jongleur lance furieusement des massues dans les airs, les acrobates projettent des corps comme des paquets de chair… Bref, tous remuent ciel et terre et ça déborde de toutes parts.
D’ailleurs, la scénographie exploite fort à propos le sillon. Comme la mort, le coyote rôde. La roue ne tourne-t-elle pas ? Matthieu Bonnecuelle excelle en vélo acrobatique, ainsi que d’autres interprètes, notamment Sara Desprez, exceptionnelle trapéziste.
Que de prises de risques ! Et c’est justement là que le bât blesse, surtout compte tenu du propos : « Entre transe de consolation, rite de passage, et fête jusqu’au bout de la nuit, nous vous invitons, Mesdames, Messieurs, à venir fêter la naissance du Dieu Coyote !» Pourtant, la compagnie compte « fêter la vulnérabilité, autrement dit l’humanité. À la sécurité, préférer l’incertitude. Grand feu de joie pour brûler ses envies d’invincibilité ». Or, on célèbre ici plutôt la toute puissance avec un enthousiasme qui frôle l’hystérie.
Ah ! La fougue de la jeunesse. Sara Desprez, également metteure en scène, et Angelos Matsakis, co-directeur artistique, disent « emprunter aux codes du rock ». Épris de liberté, tous poussent de grands cris, voire hurlent. Ils ont le cirque dans la peau, mouillent leur chemise. Une proposition qui vient des tripes, dont l’énergie est le fil conducteur. Toutefois, le spectacle est plus convaincant quand, pour apprivoiser ses peurs, le rythme ralentit enfin. Nous gardons en tête les scènes de début et de fin : la boucle est bouclée. Entre les deux, le méli mélo donne le tournis. Si l’écriture est bel et bien circulaire, on est plus dans le foutoir que dans le céleste ! 🔴
Léna Martinelli
L’Empreinte, de la cie L’Attraction céleste
Site de la compagnie
Conception, mise en scène, interprétation : Servane Guittier et Antoine Manceau
Tout public, conseillé à partir de 10 ans
Tournée :
- Les 18 et 19 août, Éclat(s) de rue, à Caen (14)
- Le 2 octobre, L’Astrada, à Marciac (32)
- Du 12 au 14 octobre, Théâtre de Bourg-en-Bresse (01)
- Du 26 au 29 octobre, Festival Circa, à Auch (32)
Foutoir céleste, du Cirque exalté
Site de la cie
Écriture : Sara Desprez et Angelos Matsakis
Mise en scène : Sara Desprez
Avec : Jonathan Charlet, Maria Paz Marciano, Matthieu Bonnecuelle, Sara Desprez, Angelos Matsakis, Maria Jesus Penjean Puig, Marin Garnier
Régie générale : Wilfrid Bourre
Technique son et lumière : Stéphane Laisné, Nico James
Regards extérieurs : Stéphanie Gaillard, Marie Molliens, Brams Dobbelaere
Composition musicale : Romain Dubois
Création lumière : Zoé Dada
Costumes, scénographie : Clarisse Baudinière, assistée de Gaby Tombelaine
Tout public, conseillé à partir de 5 ans
Durée : 1 h 15
Tournée ici
Dans le cadre du festival Le Mans fait son Cirque, du 14 au 27 juin 2022