Michel Bruzat,
« prof » d’espoir
Par Olivier Pansieri
Les Trois Coups
Prenez un lieu exigeant, un grand metteur en scène, un texte d’une force incroyable habité par une comédienne hors pair, vous obtenez « l’Enseigneur » de Jean-Pierre Dopagne, mis en scène par Michel Bruzat au Théâtre du Balcon. Flavie Avargues, la « prof », y donne une leçon de courage et de théâtre. Inoubliable.
Sur scène une table d’écolier en bois, évoquant un âge révolu : celui du respect. « Jadis, vous vous seriez levés », dit d’ailleurs l’enseignante derrière vous, faisant son entrée. Imperméable austère, coiffure sage, vieux cartable. Vous avez devant vous la « prof » dans toute sa splendeur, ou plutôt dans toutes ses misères, s’exhibant devant vous, tel un phénomène de foire. Une pure qui y croit encore ! Enfin, qui y croyait.
Car cette pièce conte une tragédie qui couve tout du long avant de survenir, en apparence disproportionnée aux causes qui l’ont produite. Je vous laisse en découvrir les péripéties stupéfiantes mais logiques. Une vraie histoire pourtant, avec ses illusions, ses déceptions, ses coups de théâtre et son dénouement, qui en cache un autre. Un texte d’une rare intensité construit en spirale pour mieux y perdre sa victime.
Premier tour de force : nous faire rire paradoxalement avec ces gladiateurs du tableau noir, livrés en pâture à leurs ados mal élevés au sens littéral du mot. Des gosses qui restent bas, quoi qu’on fasse. Comment peut-on écrire, que dis-je penser, des choses pareilles ? Justement, c’est toute la question ! Cette prof-là parle « d’animaux », s’effarant elle-même de son audace, de son découragement et de sa haine. Elle qui naguère disait exercer le plus beau métier du monde !
On est loin, on l’aura compris, des Anges aux poings serrés, Choristes et autres pieux mensonges. Ici le ciel est sombre, la situation désespérée jusqu’à l’absurde. On prêche des non-croyants, qui ne jurent que par leurs idoles audiovisuelles de pacotille. Des cancres fiers de l’être, aux règles de taulards.
Flavie Avargues les mime avec cette précision féroce que donne la colère. Sa coquette, sa crétine, sa garce, son caïd, son boute-en-train sont d’une vérité, c’est le cas de le dire, criante ! De même ses collègues, pathétiques. Il y a « l’ancienne » à la voix de fumeuse, l’accro aux antidépresseurs, les poivrots, le combinard, l’aigri, le cynique… J’en passe. Des silhouettes à la Daumier que cette actrice époustouflante croque devant vous en un tournemain.
Je découvrais Michel Bruzat. Sa mise en scène m’a ébaubi. Avec un seul accessoire, la fameuse table d’écolier, il vous emmène non seulement dans le quotidien terrible de cette femme, mais encore dans ses rêves, ses moments d’allègre folie et ses souvenirs, anciens ou récents, bons ou mauvais. Ces quatre planches deviennent alors tréteaux de théâtre, vaisseau fantôme, bateau ivre et – hélas – chevalet de torture, puis prison.
C’est dire si son travail épouse celui de Jean-Pierre Dopagne, écrivain d’un culot paisible, à la plume aussi excédée qu’acérée. Leur Enseigneur mériterait d’être déclaré d’utilité publique, tant il survient à un moment où l’on peut très légitimement désespérer de l’école. Et pas seulement de l’école ! Oui, ça se termine bien. Ce n’est pas le moindre mérite de cette descente aux enfers sans chiqué ni concession.
C’est un très grand moment de théâtre, rageur et fort comme le remède de cheval qui convient à la situation. Je supplie tous les enseignants, élèves, étudiants, programmateurs, animateurs, amis du théâtre, C.E.M.É.A., parents d’élèves, de gauche comme de droite, humanistes, je-m’en-foutistes, vivant ou de passage à Avignon, d’aller se rafraîchir les idées à cette prodigieuse source de jouvence. Enfin un spectacle qui gueule ce que tout le monde, j’espère, pense ! ¶
Olivier Pansieri
l’Enseigneur, de Jean-Pierre Dopagne
Théâtre de la Passerelle
Mise en scène : Michel Bruzat
Avec : Flavie Avargues
Lumières : Franck Roncière
Costumes : Dolorès Alvez-Bruzat
Production Théâtre de la Passerelle | D.R.A.C. du Limousin, conseil régional et conseil général du Limousin, Ville de Limoges
Théâtre du Balcon • 38, rue Guillaume-Puy • 84000 Avignon
Réservations : 04 90 85 00 80
Du 10 juillet au 2 août 2008, à 16 heures
Durée : 1 h 15
16 € | 11 €