La fougue de la jeunesse
Par Maxime Grandgeorge
Les Trois Coups
La jeune troupe du Nederlands Dans Theater 2 investit le Palais de Chaillot avec un programme ambitieux signé Alexander Ekman, Marco Goecke, Sol León et Paul Lightfoot. Une soirée enfiévrée et déroutante, placée sous le signe de la jeunesse.
La Nederlands Dans Theater 2, une branche secondaire de la compagnie NDT dédiée aux jeunes danseurs, offre à ses recrues l’opportunité de développer leur talent au contact de chorégraphes réputés et de stars montantes de la danse contemporaine. Sol León, Paul Lightfoot, Alexander Ekman et Marco Goecke, familiers de la compagnie néerlandaise, en font partie tous les quatre. La production présentée au Théâtre de Chaillot revisite trois de leurs œuvres.
Le spectacle s’ouvre sur FIT, la nouvelle création d’Alexander Ekman. Dans cette pièce d’une trentaine de minutes, le chorégraphe suédois s’interroge avec humour sur la place de chacun dans le monde, comme le suggère le titre de l’œuvre (fit, « être adapté » en anglais). Ou plutôt sur l’absence de place de certains êtres, ceux mis en scène par Alexander Ekman ne semblant en effet rentrer dans aucun moule.
Une forme de chaos se dégage de FIT, agrégat de chorégraphies hétéroclites que le spectateur peine à embrasser dans sa totalité. Le décor, très minimaliste, est composé d’une malle suspendue dans les airs et d’une grue mobile surmontée d’une lampe qui tournoie au-dessus des danseurs. La superposition de situations incongrues confère un caractère comique à l’ensemble, frôlant parfois le carnavalesque. Des hommes en maillots de bain côtoient des danseurs en tutu ; deux femmes répandent de la fumée avec une petite souffleuse, tout en se faisant un câlin ; un homme plonge la tête dans une poubelle, un autre pousse un rocher tandis qu’un autre encore se prend pour un oiseau …
Tels des animaux sauvages, les danseurs se rencontrent, s’approchent les uns des autres, apeurés, puis s’apprivoisent et s’imitent, jusqu’à se lancer dans ce qui ressemble à une grande partie d’1,2,3, Soleil ! Le célèbre standard de jazz de Dave Brubeck, Take Five, connu notamment pour son rythme à cinq temps, leur fournit une pulsation hypnotique et entraînante, à partir de laquelle les corps se déchaînent.
Une invitation à la transe
La seconde pièce présentée au cours de la soirée, Wir sagen uns Dunkles de Marco Goecke, est tout aussi surprenante. Les spectateurs sont conviés à un voyage musical express qui les fait passer de la musique romantique au rock, en faisant même un petit détour par la musique moderne. Les danseurs évoluent tour à tour sur des chansons du groupe de rock britannique Placebo, une Nocturne de Franz Schubert et un quintet pour piano d’Alfred Schnittke. Une bande-son hétéroclite pour une chorégraphie non moins étonnante.
Les danseurs, vêtus d’un pantalon à plumes, semblent tout droit sortis d’un asile psychiatrique. Ce n’est pas le rire démoniaque d’une des danseuses qui fera s’évaporer cette impression. Ils s’adonnent à une chorégraphie infernale, multipliant gestes saccadés et mouvements frénétiques, comme s’ils étaient pris de convulsions. Quelque chose d’éminemment organique se dégage de cette chorégraphie hallucinée. Les mouvements sont rythmés par le souffle et les râles des danseurs.
La soirée se termine en beauté avec Signing Off de Sol León et Paul Lightfoot, la plus « classique » des pièces présentées par le NDT2 ce soir-là. La chorégraphie aérienne et sensuelle imaginée par les deux comparses se rapprochent en effet davantage de la grammaire classique du ballet, de ses sauts et de ses portés gracieux. Les corps sont portés par la musique hypnotique de Philip Glass, véritable invitation à la transe. Chaque pas, chaque geste, chaque mouvement semble appartenir à une grammaire inconnue, un langage des signes indéchiffrable pour le commun des mortels, dont seuls les chorégraphes détiendraient la clé. Visuellement captivant, Signing Off s’achève par une image saisissante : d’immenses rideaux noirs se gonflant jusqu’à engloutir les danseurs dans leurs sombres replis.
Promis à un avenir brillant, les danseurs du Nederlands Dans Theater 2 ont prouvé qu’ils savaient s’emparer avec talent des chorégraphies de leurs prédécesseurs, passés, pour la plupart, par les rangs du NDT. Une passation de pouvoir en forme d’hommage à la jeunesse. ¶
Maxime Grandgeorge
León & Lightfoot / Ekman / Goecke, par le Nederlands Dans Theater 2
Chorégraphies : Alexander Ekman, Marco Goecke, Sol León et Paul Lightfoot
Lumières : Udo Haberland et Tom Bevoort
Musique : Nicolas Jaar, The Dave Brubeck Quartet, Franz Schubert, Placebo, Alfred Schnittke, Philip Glass
Durée : 2 heures
Photo : © Rahi Rezvani
Chaillot – Théâtre national de la danse • 1, place du Trocadéro • 75016 Paris
Du 15 au 19 mai 2019
De 8 € à 41 €
Réservations : 01 53 65 31 00
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