« les Amours tragiques de Pyrame et Thisbé », de Théophile de Viau, Athénée ‑ Théâtre Louis‑Jouvet à Paris

les Amours tragiques de Pyrame et Thisbé © Nathaniel Baruch

« Pyrame et Thisbé », si loin, si proche

Par Céline Doukhan
Les Trois Coups

Et voilà encore un spectacle magnifique signé Benjamin Lazar. « Les Amours tragiques de Pyrame et Thisbé », dans le flamboyant théâtre de l’Athénée, bouleverse par sa perfection esthétique et la force étonnante de ce texte de 1621 signé Théophile de Viau.

On a beau être préparé, rien n’y fait. On aurait pu croire que, après avoir vu le Bourgeois gentilhomme dans la mise en scène du même Lazar, on serait moins surpris par ces éclairages, cette diction, ces costumes d’une sidérante beauté. Et pourtant : on en viendrait presque à plaindre Louise Moaty, dont la tirade d’ouverture est presque éclipsée par la fascination qui s’empare des spectateurs. On ne sait où donner de la tête tant tous les sens sont saisis d’étonnement : voilà que, devant nous, Thisbé, l’amoureuse de Pyrame, semble littéralement surgir, s’incarner à travers le texte de Théophile de Viau. Elle est là, parlant comme en 1621, ses paroles vibrant dans la faible mais si chaude lueur des bougies.

En une cadence majestueuse, les alexandrins livrent des accents pathétiques. Les comédiens accompagnent cette déclamation de gestes qui mettent en valeur le rythme de la langue. Se déploie toute une panoplie de mouvements des bras, des mains et des jambes, une véritable chorégraphie du langage, qui ne fait qu’un avec le texte et lui donne une sensualité, une présence bouleversantes.

De même, la lumière et le décor ne font qu’un. Une rampe de quinquets est tour à tour un mur, un ruisseau. Il n’y a rien, si ce n’est des bougies disposées sur des portants de métal maniés par des assistants. Qu’un des portants soit tourné vers le fond ou vers le public, et c’est tout un décor, toute une atmosphère qui s’en trouve changée. Et, loin de les occulter, la faible lumière magnifie les personnages en leur donnant une apparence presque surréelle, apparitions somptueuses évoluant dans leurs costumes anciens comme dans les vers du poète : ici, un certain hiératisme n’empêche pas l’éloquence, mais la sublime.

Tout cela fait ressortir, comme un diamant qui brillerait dans la pénombre, la force du texte de Théophile de Viau. L’intrigue est très épurée. Deux jeunes gens empêchés dans leur amour, quoi de plus universel ? Les scènes, souvent à deux personnages, sont autant de morceaux de bravoure. Chaque personnage, même secondaire, tire son épingle du jeu. C’est ainsi que le ministre du roi jaloux, brillamment interprété par Julien Cigana, est remarquable dans la veulerie et la couardise.

Benjamin Lazar, lui, est Pyrame. Son grand moment, seul en scène alors qu’il croit Thisbé morte, est aussi l’un des grands moments de la pièce. Qu’est-ce qui nous touche le plus ? L’empathie que suscite le sort de cet amoureux transpercé par la douleur ? Le trouble que cette émotion soit provoquée par une expression si différente et si familière à la fois, une écriture, des conventions d’un autre siècle qui nous touchent au cœur comme si la barrière du temps était abolie ? Ou bien la mise en scène, cette synthèse ici miraculeuse qui enchante l’ouïe et le regard, le cœur et l’esprit ? Qui nous permet à nous, spectateurs, de comprendre, de ressentir et d’aimer ce message venu d’un autre siècle ?

Il y a quelques longueurs. Peu importe ! On ressort étonné, heureux d’avoir été là, à la fois coupé du monde et mis face à nos émotions les plus essentielles. Un voyage à l’intérieur de soi. 

Céline Doukhan


les Amours tragiques de Pyrame et Thisbé, de Théophile de Viau

Mise en scène : Benjamin Lazar

Collaboration artistique : Louise Moaty

Avec : Lorenzo Charoy, Julien Cigana, Benjamin Lazar, Anne‑Guersande Ledoux, Louise Moaty, Alexandra Rübner, Nicolas Vial

Scénographie : Adeline Caron

Costumes : Alain Blanchot

Lumières : Christophe Naillet

Maquillages : Mathilde Benmoussa

Décors : Théâtre de Caen

Photos : Nathaniel Baruch

Athénée – Théâtre Louis‑Jouvet • square de l’Opéra ‑ Louis‑Jouvet • 7, rue Boudreau • 75009 Paris

Réservations : 01 53 05 19 19

Du 27 mai au 12 juin 2010, mardi à 19 heures, du mercredi au samedi à 20 heures, relâche les lundi et dimanche ; matinées exceptionnelles : dimanche 6 juin 2010 à 16 heures et samedi 12 juin 2010 à 15 heures

Durée : 1 h 45

De 30 € à 13 €

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