Rendez-vous artistique et citoyen
Léna Martinelli
Les Trois Coups
Du 23 janvier au 9 février, ce festival dédié aux arts du geste et porté par Scènes & Cinés, propose 24 spectacles de danse et de cirque dans 6 villes réparties sur Istres Ouest Provence (14 lieux). Fidèle à sa mission, il propose une programmation audacieuse et ancrée dans son territoire, avec une attention particulière pour les publics et un solide volet éducatif. Près de 15.000 personnes sont attendues.
Les Élancées se sont ouverts en pleine nature, au Domaine départemental de l’étang des Aulnes à Saint-Martin-de-Crau (coréalisé par le Citron Jaune CNAREP, Archaos BIAC 2025 et le Théâtre d’Arles), avec Trilokia, un parcours poétique où le geste rencontre le paysage, dans trois tableaux inspirés des éléments. Fidèle à sa vision minimaliste et artisanale du cirque, Jani Nuutinen proposait de suspendre le temps pour forger ensemble un récit sur l’humanité. Une expérience singulière (lire l’entretien avec Laura Plas).
Pour notre part, nous avons commencé notre reportage par la table ronde, une entrée en matière pertinente, dans ce contexte alarmant de coupes budgétaires des pouvoirs publics en matière culturelle. Organisée dans le cadre des Rencontres Professionnelles de la Biennale Internationale des Arts du Cirque 2025, « Arts du Geste et Éducation Artistique et Culturelle : pour une approche sensible et engagée » a réaffirmé l’importance de l’EAC et valorisé des structures qui placent au cœur de leurs missions l’accès à la culture.
Ouverture tous azimut : aux disciplines, aux générations, aux pratiques
Équité territoriale et démocratie culturelle : c’est l’engagement des Élancées auprès du corps enseignant, d’associations et établissements socio-éducatifs de la Métropole. Et dans ces temps troublés, on sait combien c’est important de garder le cap. La culture est plus que jamais un lieu de résistance », a souligné dans son introduction Nicole Joulia, présidente de Scènes & Cinés, 1ère adjointe, déléguée à la culture, aux droits des femmes et à la citoyenneté et vice-présidente du Conseil départemental des Bouches-du-Rhône. Dans l’édito, elle écrit même : « Les Élancées sont plus qu’un festival : c’est un Manifeste pour une culture de proximité, un espace de partage où chacun trouve sa place et où l’art reste accessible à tous ».
Anne Renault, la directrice artistique, a rappelé les spécificités de ce festival créé à Istres, devenu intercommunal depuis, et de la structure qui le porte. Grâce à des formules d’abonnement, Scènes & Cinés fait circuler les publics entre Cornillon-Confoux, Fos-sur-Mer, Grans, Istres, Miramas, Port-Saint-Louis-du-Rhône, soit un bassin de population de 100.000 personnes. « Sur ce territoire paupérisé, l’EAC fait partie de son ADN », a-t-elle précisé. Une multitude d’activités et de ressources nourrissent les échanges ainsi que la curiosité. Les bénéfices sont considérables. Valoriser les potentialités expressives de son corps redonne confiance en soi, favorise l’émancipation et l’attention à l’autre. Libérés des codes sociaux liés à l’oralité, les arts du mouvement permettent de surmonter plusieurs barrières : les niveaux de langues et les postures sociales. Ils relient plus facilement les générations.
© Sarah Meneghello
Les Élancées œuvrent à la sensibilisation aux arts du geste auprès des jeunes, favorisant l’expression personnelle, la pensée critique et la mobilisation citoyenne. Sur les 73 représentations, 21 sont dédiées aux établissements scolaires, touchant chaque année près de 150 classes et 3.500 enfants. Le programme s’enrichit avec des ateliers dans les écoles et un parcours d’éducation artistique (959 participants aux ateliers EAC). L’obtention du label 100 % EAC est donc une reconnaissance méritée. Les publics empêchés sont eux aussi très bien accompagnés. La qualité de la programmation, le travail quotidien au plus près des spectateurs et cette démarche volontariste pour une culture abordable (prix moyen du billet 9,39 €) porte ses fruits.
Épanouissement individuel et cohésion sociale
Le premier volet de la rencontre a exploré comment le cirque enrichit les EAC en développant trois axes : « Rencontrer, pratiquer et s’approprier ». Tiphaine Souron, responsable des actions artistiques et culturelles à Archaos, a détaillé les dispositifs et le travail mis en place essentiellement dans les quartiers Nord où le PNC est implanté, un projet labellisé Cités éducatives, qui bénéficie également du soutien de la Fondation de France. Elle a témoigné de l’efficacité des classes cirque contre le décrochage scolaire. Moyens d’expression universel, outils pédagogiques innovants, les arts du cirque contribuent à apprendre, penser, agir, rêver. 3.000 élèves sont aussi concernés par une médiation spécifique avec un outil dédié (et créé de toutes pièces) lors de séances scolaires : le jeu de plateau les Parcours zélés. Un modèle dont s’inspirer ailleurs ?
© Archaos PNC
Un second volet était consacré aux initiatives inclusives en France et à l’international : « Le cirque social : une chance dans un projet de société inclusif et solidaire ». Gaëtan Levêque, artiste de cirque, responsable du pôle artistique du Plus Petit Cirque du Monde, un représentant de ZimZam (association pour but de promouvoir le cirque pour tous et notamment à destination des publics en situation de handicap, de troubles mentaux ou de difficultés sociales) et Aïcha Aouad, fondatrice de la cie Rose des Vents ont partagé leurs expériences. Leurs activités infusent tous les pans de la société. Perméables à leur environnement, ils font communauté, car le mouvement permet d’aborder le monde de manière sensible, parfois de transformer des parcours de vie, en œuvrant à la qualité des échanges.
Programmation dense
La 27e édition propose un reflet des nouvelles tendances du cirque et de la danse en France et à l’étranger. Première des 7 créations proposées : le très attendu Fame TV. D’ailleurs, le collectif TBTF est aussi convaincu de la portée sociale des arts du cirque : « Nous sommes en effet attachés au cirque social, une façon pour nous d’aller à la rencontre de publics variés », (lire notre entretien).
© Noémie Lacoste ; © Patrice Leïva
Sur la scène de l’Usine, ils étaient une quinzaine à se démener et faire le show. Maîtrisant aussi bien leurs disciplines que la musique, le théâtre, les effets spéciaux ou le design, ces jeunes sont décidément bourrés de talents. Leur dernière création, inspirée des années 70, est drôlement vitaminée. Entre paillettes, humour et satire sociale, c’est plein de fantaisie et de malice. Réjouissant, mais non sans mordant, avec de malins coups d’œil dans le rétro (lire notre critique) !
Large panorama des arts du geste
L’art du geste se déploie aussi dans C’est toi qu’on adore et Pode Ser, deux pièces où les corps expriment une quête de liberté et de résilience, de la chorégraphe Leïla Ka (lire notre critique) ; Carmen d’Abou Lagraa, qui revisite le classique avec treize danseurs du Ballet de l’Opéra de Tunis ; Entre chiens et louves, du Cirque le Roux, qui a imaginé des tableaux grandioses pour mettre en lumière des oubliées, une épopée historique où se dévoile l’intimité de trois personnages féminins vivant à différentes époques ; un spectacle des excellents Australiens Gravity and Other Myths ; ou encore Salto, d’El Nucleo, où les artistes repoussent leurs limites dans de spectaculaires acrobaties (lire notre critique). Autant de numéros virtuoses dans des mises en scène étonnantes.
Deux chapiteaux s’implantent à nouveau au centre équestre Le Deven à Istres. Cette année, 3 spectacles se déroulent sur pistes : Ocho (Cirque Baraka), festif et lumineux ; le Cabaret renversé (La Faux Populaire Le Mort aux Dents) sur les hauts et les bas de la vie à deux (lire notre critique) ; Equi’Créa (Mouv’Art), un spectacle équestre célébrant le lien unique entre l’homme et le cheval.
« Ten Thousand hours », Gravity and Other Myths © Simon McClure ; « Opticirque » © cie Longshow ; Equi’Créa © Mouv’Art
On pousserait également volontiers les portes de la caravane du Cardinal Borgne, où Raoul Lambert proposera une immersion entre illusion et mystère, avec le soutien du Réseau Inter-régional en Rue. Quant à La Volte-cirque, elle présentera des numéros de voltige (De bonnes raisons). Parmi les spectacles à partager en famille : Solitude.s (cie la Migration), du « cirque en paysage », avec un acrobate qui explore les jeux d’équilibre sur un drôle d’agrès ; Opticirque (cie Longshow), un univers magique plein de malice.
En complément des spectacles, le festival propose une série d’activités pédagogiques et culturelles : ateliers de danse, parcours théâtre et cinéma, exposition photographique itinérante.Doté d’un vrai regard, Patrice Leïva révèle l’essence de chaque spectacle : il sait épouser les mouvements, traduire les intentions, capter les instants. Et modeste avec ça !
Généreux, engagé, le festival Les Élancées touche les cœurs et les esprits avec, chaque année, la promesse de fortes émotions et de belles découvertes pour toutes les générations. Dans cette programmation qui dépasse les deux semaines habituelles, soulignons à nouveau l’audace de certains choix, des grands formats ou des spectacles qui livrent d’inspirantes représentations du monde.
Léna Martinelli
Les Élancées
27e édition, du 23 janvier au 9 février 2025
Porté par Scènes & Cinés, scène conventionnée Art en territoire
Toute la programmation ici
Réservations : en ligne ou au 04 42 56 48 48
Tarifs Élancées de 5 € à 8 € avec le Pass Élancées (dès 4 places achetées sur un ou plusieurs spectacles au tarif Élancées)
À découvrir sur Les Trois Coups :
☛ BIAC 2025, annonce, par Léna Martinelli
☛ Les Élancées 2025, reportage de Léna Martinelli
☛ Les Élancées 2023, reportage de Léna Martinelli
Photos : © « Trilokia », Jani Nuutinen Circo Aero © Philippe Laurençon