L’art de l’effacement
Trina Mounier
Les Trois Coups
Le public attend avec gourmandise les mises en scène d’Alain Françon, réputé pour être parmi les grands du théâtre classique, s’il n’est le premier. Elle est à son comble quand il monte Marivaux. C’est évidemment vrai, pour peu qu’on renonce, à l’instar du Maître, à ce qui fait, habituellement, le spectacle : les surprises (même réduites à quelques clins d’œil), les effets, l’esthétique, en un mot les ornements. Or ces « Fausses confidences » sont d’une sobriété qui confine à l’austérité, d’une rigueur un brin protestante. Ce n’est pas sans éclat.
Comme toujours chez Marivaux, il est question d’amoureux qui ne se sont pas déclarés, dans une société qui empêche les rapprochements, mais aussi de classes sociales et d’argent. Donc de mensonges qui passent souvent chez l’auteur par le travestissement : on ne ment que sur soi chez Marivaux. L’intrigue des Fausses confidences est assez simple, en fait.
Un homme séduisant, encore jeune (ici nos héros ont une trentaine d’années, ce ne sont plus des débutants en matière de finances comme de cœur). Dorante, aime furieusement Araminte, une jeune veuve très riche et cherche à être nommé intendant dans sa maison pour l’approcher. Le veuvage de cette dernière lui confère une liberté fort enviable que n’ont ni les filles soumises à leur père, voire à leurs frères, ni les femmes mariées soumises à leur mari.
Non seulement libre, Araminte est indépendante, c’est-à-dire qu’elle fait ce qu’elle veut de ses biens comme de sa personne, ce que supporte fort mal madame sa mère, interprétée à la perfection par une Dominique Valadié, grincheuse, curieuse et autoritaire à souhait, privée par ce veuvage de tout pouvoir sur sa fille. Araminte, que sa mère voudrait voir épouser le comte, est bouleversée dès le premier regard par Dorante. Mais la mésalliance est une difficulté infranchissable, même si, finalement, elle n’est pas si grande que la belle le croit. Il va devoir la conquérir. Elle va devoir, tout au long de la pièce, apprendre à écouter son cœur.
Voici donc le quatuor des principaux personnages. Mais il en existe d’autres, du côté des domestiques, aux pouvoirs bien plus étendus : ils peuvent aller partout, dire à peu près tout ce qu’ils pensent et toutes ces possibilités aiguisent leur intelligence, leur ruse, leurs stratégies. À défaut de pouvoir réel, ils se délectent de tout comprendre aux maîtres et les font marcher au pas de leurs stratagèmes, comme des marionnettes. Le revers de la médaille est que, généralement, on se débarrasse d’eux, à peine la pièce finie. Or, dans cette comédie, le valet de Dorante, Dubois, est particulièrement malin, voire retors.
Le texte, la voix, le souffle
La pièce ne connaît pas de rebondissements, mais observe dans le détail la lente reddition d’Araminte. Celle-ci se remarque à peine, tant l’héroïne, superbement interprétée par une Georgia Scalliet sensible et juste, s’ingénie à ne rien montrer de ce qu’elle ressent, même à elle-même. Face à un Dubois fieffé menteur (formidable Gilles Dubois, inquiétant à souhait), Araminte est, elle, une menteuse innocente et naïve, terrifiée par la vérité qu’elle sent naître en son cœur.
C’est donc les cœurs que scrute Alain Françon à travers de tout petits gestes vite arrêtés, des regards en coulisse, de brusques changements de rythme. Aussi, la direction d’acteurs dans laquelle Alain Françon excelle est-elle plus que jamais soignée, millimétrée.
Mais, le plus remarquable, c’est le jeu des comédiens et surtout leur manière impeccable de dire ce texte, d’en rendre le velouté, d’en souligner avec légèreté la moindre aspérité, d’attirer notre attention sur le souffle qui s’arrête ou s’accélère, de faire en sorte qu’on n’entende que lui. Aucun autre metteur en scène ne donne à ce point la primeur au texte. Ce n’est certes pas tendance mais quelle leçon !
Trina Mounier
Les Fausses Confidences, de Marivaux
Mise en scène : Alain Françon
Avec : Pierre-François Garel, Guillaume Lévêque, Gilles Privat, Yasmina Remil, Séraphin Rousseau, Alexandre Ruby, Georgia Scalliet, Maxime Terlin, Dominique Valadié
Décor : Jacques Gabel
Lumière : Joël Hourbeigt, Thomas Marchalot
Musique : Marie-Jeanne Séréro
Costumes : Pétronille Salomé
Régie générale : Joseph Rolandez
Théâtre des Célestins • Grand théâtre • Salle Roger Planchon • 4, rue Charles Dullin • 69002 Lyon
Du 6 au 17 novembre 2024, mardi, mercredi, vendredi, samedi à 20 heures, jeudi à 19 h 30, dimanche à 16 heures, relâche le lundi
Durée : 1 h 45
Réservations : 04 78 03 30 00 ou en ligne
Tournée :
• Du 8 au 10 janvier 2025, L’Empreinte, scène nationale Brives-Tulle (19)
• Les 15 et 16 janvier, Scène nationale Albi (81)
• Du 22 au 26 janvier, Theatre Montansier de Versailles (78)
• Les 30 et 31 janvier, Opéra de Massy (91)
• Les 12 et 13 février, Théâtre Saint-Louis, à Pau (64)
• Les 25 et 26 février, Maison de la Culture d’Amiens (60)
• Du 4 au 6 mars, Le Quai, CDN d’Angers (49)
• Du 18 au 21 mars, Théâtre du Jeu de Paume, Aix-en-Provence (13)
• Du 25 au 29 mars, Théâtre de Caen (14)
• Du 2 au 5 avril, Bonlieu, scène nationale d’Annecy (74)
• Du 8 au 11 avril, La Comédie de Saint-Etienne (42)
Photo : © Jean-Louis Fernandez