« Les Gardiennes », Nasser Djemaï, Théâtre National Populaire, Villeurbanne 

Les-Gardiennes-Nasser-Djemaï © Luc-Jennepin

Qui est l’intruse ?

Par Trina Mounier
Les Trois Coups

Nasser Djemaï est un fin observateur de notre époque, de préférence dans ses espaces intimes, comme la famille dans « les Gardiennes ». Il excelle pour rendre les travers, les quiproquos, et à travers eux, les petites et grandes blessures qu’on s’inflige les uns aux autres. Mais il le fait avec une grande légèreté, c’est là sa pâte.

Quatre ouvrières à la retraite, anciennes syndicalistes, amies de longue date, vivent ensemble dans un appartement. Appartement qui a les couleurs et les formes de ce qui est vieillot, défraîchi, mais qui a aussi « vécu ». L’une de ces quatre femmes, qui a perdu l’usage de la parole, est de surcroît clouée sur un fauteuil roulant. Qui s’en occupe dans le quotidien ? Unies par une sorte de contrat moral, les trois amies ont donc investi l’appartement de Rose. Combattives et résolues, elles ont appris que la liberté s’obtient par le refus de la dépendance.

Or, l’’arrivée de Victoria va changer la donne. Elle est bien décidée à vendre cet appartement qui, en réalité, lui appartient, pour payer une place en EHPAD à sa mère. De prime abord, cette jeune femme paraît bien égoïste. Elle représente cette génération soucieuse de bien s’occuper de ses parents, à condition de prendre à leur place toutes les décisions, et donc de dépouiller les très vieux de toute indépendance et de tout choix. Mais on va découvrir les zones grises de cette situation. Ces vieilles dames vivent en plein rêve, un peu déconnectées de la réalité.

Huis clos ou cocon ?

Les relations vont donc s’envenimer entre Victoria ayant pour elle le droit, la légitimité biologique et l’estampillage médical, et les trois amies au passé de combattantes, dotées d’un fort capital de sympathie : les Ehpad ne sont pas aimées, personne ne souhaite y aller, c’est le moins qu’on puisse dire !

© Luc Jennepin

Doué en clair obscur, Nasser Djemaï débusque dans cette situation les risques de conflit et avance, avec doigté, sans pour autant voiler ce qui fâche. Il sait éviter toute démagogie, toute caricature. On comprend les points de vue, on est dans l’empathie avec elles et troublé aussi, ému souvent, par son traitement sensible d’une question qui nous taraude tous.

Pour autant, le spectacle ne se déroule pas en eaux calmes. Cela secoue même, parfois. La scène où Victoria (formidable Sophie Rodrigues) et le clan des trois autres en vient aux mains pour récupérer le fauteuil au risque d’en faire tomber Rose (interprétée avec subtilité par Martine Hamel) est formidable. De même que celle où mère et filles se retrouvent autour d’une chute.

© Luc Jennepin

Nasser Djemaï est très fort pour construire une proposition théâtrale, occuper un plateau et choisir ses comédiennes. Celles-ci animent la pièce, elles nous bouleversent parfois. Comme dans les scènes où elles se mettent à danser, et l’on voit alors, les années s’envoler. Il insuffle à merveille le rythme, mêle avec délicatesse l’onirisme, le réalisme et même le conte.

D’ailleurs, le public a fait bon accueil à cette pièce. Ils étaient nombreux, après le spectacle, à discuter encore des points de vue exprimés. 🔴

Trina Mounier


Les Gardiennes, de Nasser Djemaï

Le texte est publié aux éditions Actes Sud Papiers
Avec : Claire Aveline, Coco Felgeirolles, Martine Harmel, Sophie Rodrigues, Chantal Trichet
Dramaturgie : Marilyn Mattei
Regard extérieur : Mariette Navarro, Julie Guibert
Scénographie et costumes : Claudia Jenatsch
Création lumière : Laurent Scneegans
Création sonore : Frédéric Minière
Création vidéo : Nadir Boussassria, Grégoire Chomel
Maquillages et perruques : Cécile Kretschmar
Durée estimée : 2 heures

Théâtre National Populaire • Petit théâtre salle Jean Bouise • 8, place Lazare-Goujon • 69100 Villeurbanne
Du 29 novembre au 6 décembre 2023, du mardi au samedi à 20 h 30, sauf jeudi à 20 heures et dimanche à 16 heures, relâche lundi
Réservations : 04 78 03 30 00 ou en ligne

Tournée :
• Du 12 au 16 décembre, Théâtre des Quartiers d’Ivry, CDN du Val de Marne
• Les 20 et 21 décembre, Espaces pluriels, scène conventionnée de Pau
• Le 12 janvier 2024, Théâtre Victor Hugo, à Bagneux
• Le 16 janvier, Les Salins, scène nationale de Martigues
• Les 24 et 25 janvier, Le Théâtre de Bourg, scène nationale de Bourg-en-Bresse
• Le 2 février, Théâtre Le Reflet, à Vevey (Suisse)
• Le 8 février, L’Hectare, Territoires vendômois, centre national de la marionnette
• Le 6 avril, Le Cèdre, Théâtre de Chenôve

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