Travail de maître !
Par Trina Mounier
Les Trois Coups
Le tableau de Velázquez, « Les Ménines », possède la force d’attraction des mystères et des miroirs. Sylvie Mongin-Algan, qui met en scène la pièce éponyme de l’écrivain mexicain Ernesto Anaya, en est convaincue. Le travail collectif très réussi qu’elle dirige impressionne.
Parler de réussite collective n’est absolument pas réducteur pour la metteuse en scène Sylvie Mongin-Algan, véritable chef d’orchestre de cette remarquable adaptation des Ménines. C’est tout à son honneur, au contraire, d’avoir su rassembler tant de talents. Soulignons aussi l’analyse brillante et inédite du contexte historique délétère dans lequel Velázquez a peint ces Ménines, que livre Ernesto Anaya.
Les suivantes ne sont pas au centre du tableau, occupé principalement par une infante gâtée par sa toute-puissance (superbement incarnée par Alizée Bingöllü). Quant au peintre, dont la pièce raconte l’invraisemblable histoire, Jean-Philippe Salério lui confère sa stature et… sa fragilité, celle d’un Velázquez préoccupé par son ascension sociale et prêt à renoncer à l’exercice de son art. Enfin l’horrible duègne occupe, elle aussi, une place essentielle. Ana Benito prête malignité et ruse à cette naine difforme, sorcière alliée de l’Inquisition.
La mise en scène s’appuie sur ces acteurs, tous excellents, lesquels donnent l’impression d’être parfaitement hispanophones. Car le français et l’espagnol se croisent en permanence, à la fois dans les voix et les surtitres (à eux seuls, ils méritent une mention spéciale). Renseignement pris, tous ne parlent pas l’espagnol, loin de là. C’est à Marie Nachury, auteure des compositions musicales renvoyant au Siècle d’or cependant très contemporaines, que revient le mérite de nous transporter à la cour de Madrid.
Enchâssements
La scénographie et le jeu de lumières créés par Yoann Tivoli parfont la mise en scène : présentée comme dans un écrin fait de grands panneaux qui s’animent de détails picturaux, notamment des Ménines, la reconstitution impressionne par sa justesse. Nous sommes, face à cette peinture, semblables à des visiteurs de musée qui suivraient un guide exceptionnellement captivant.
Les costumes créés par Adeline Isabel-Mignot complètent admirablement l’ensemble. Femmes et enfant sont vêtus de squelettes de crinolines, de collants à couture et de tissus transparents. Ces vêtements manifestent l’enfermement de ces femmes dans une sorte de harem, où elles sont tenues à disposition des mâles et prêtes à servir. Ces harnachements mettent en valeur leur grâce et leur beauté, les teintent d’érotisme mais ils entravent aussi chacun de leurs mouvements : elles sont prisonnières et leurs caprices n’y changent rien.
Ce spectacle est une véritable poupée russe, à l’instar du célèbre tableau. On n’arrête pas d’en découvrir les strates, sans qu’il ne souffre jamais d’aucun dogmatisme ni de pédanterie. Au contraire, il est enlevé, vivant, intelligent, passionnant, souvent très drôle. Une magistrale leçon de théâtre. ¶
Trina Mounier
Les Ménines d’Ernesto Anaya
Le texte est publié en espagnol aux éditions Paso de Gato
Traduction et surtitrages : Adeline Isabel-Mignot
Création bilingue français / espagnol
Mise en scène : Sylvie Mongin-Algan
Jeu : Gabriela Alarcon Fuentes, Ana Benito, Alizé Bingöllü, Jean-Philippe Salério, Cécilia Steiner
Scénographie et lumières : Yoann Tivoli
Compositions musicales et travail vocal : Marie Nachury
Costumes : Adeline Isabel-Mignot
Photo © Joran Juvin
Nouveau Théâtre du 8e • 22, rue Commandant Pégout • 69008 Lyon
Du 25 au 27 mars 2018, le dimanche à 17 heures, les lundi et mardi à 20 heures
Tarif au choix de chacun
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