« les Noces de Figaro », de Wolfgang Amadeus Mozart et Lorenzo Da Ponte, les Quinconces, Le Mans

« les Noces de Figaro » © R. Dugovic

Les femmes de Mozart sublimées par Galin Stoev

Par Céline Doukhan
Les Trois Coups

Voilà une excellente surprise que ces « Noces », magnifiquement chantées et astucieusement mises en scène.

Cette nouvelle version des Noces de Figaro étincelle de mille feux. L’humour, la tendresse, l’érotisme léger, l’émotion parfois poignante : tout y est dans la mise en scène de Galin Stoev, artiste d’origine bulgare qui a, entre autres, travaillé avec la Comédie-Française ces dernières années.

La fraîcheur de cet opéra créé en 1786 est, encore aujourd’hui, sidérante. Les personnages sont familiers, les situations souvent cocasses. Figaro parviendra-t-il à épouser Suzanne ? Réussiront-ils à vaincre les ardeurs adultérines du Comte, leur employeur, pour la future épouse ? Si l’on ajoute les manœuvres de la vieille Marcelline pour épouser Figaro et la libido débridée du jeune page Chérubin, on comprend que les Noces, c’est la carte du Tendre transformée en parcours du combattant.

L’une des grandes satisfactions de cette production, c’est la qualité constante de l’interprétation. Les chanteurs sont tous bons, tout le temps. Et non seulement comme chanteurs, mais aussi comme comédiens. Chez les femmes, Camille Poul est une Suzanne mutine et déterminée, tout à fait crédible. Face à elle, le choix de la mezzo-soprano moldave Diana Axentii 1 en Comtesse se révèle parfait. Sa première apparition en Desperate Housewife téléphage en dit d’avance beaucoup. Avec ses formes généreuses, sa posture un peu affaissée mais digne, on voit tout de suite en elle une comtesse dont la beauté est déjà un peu fanée, et avec elle l’histoire mille fois entendue du mari qui ne regarde plus sa femme. Le chant de Diana Axentii, impeccable tout au long de l’opéra, atteint une émotion toute particulière lors de son air du troisième acte « E Susanna non vien… Dove sono ». La justesse absolue des mots et de la musique, deux cent cinquante ans après leur création, l’empathie suscitée par cette méditation sur le bonheur perdu, la beauté du chant, concourent à faire de ce moment l’un des sommets de la soirée.

Autre bonne idée de mise en scène : faire ressembler Marcelline à la Castafiore. Avec son chapeau élégamment posé de travers, son cache-cœur léopard et son abattage comique, Salomé Haller excelle dans le rôle. Ambroisine Bré compose quant à elle un Chérubin coquin à souhait, et il ne faudrait pas oublier la jeune Hélène Walter dans le rôle de Barberine, personnage mineur, mais que Mozart gratifie d’un air magnifique au début du quatrième acte.

La galerie des personnages masculins est tout aussi passionnante. Le Comte est interprété par Thomas Dolié. Toujours élégant, le cheveu parfaitement gominé, le visage fermé jusqu’à l’ultime scène, ce Comte est un peu comme le Don Draper de la série Mad Men : un homme à femmes, dont la personnalité reste un bloc de mystère et qui ne fend l’armure que rendu à la dernière extrémité.

Comme chez les femmes, Stoev donne un pendant comique ingénieux à ce personnage grâce à la figure de Don Basilio, ici ouvertement gay. Là, on applaudit la prestation délirante mais jamais ridicule d’Éric Vignau, également excellent du point de vue vocal. Ce parti pris ne sert pas uniquement une cause comique : Don Basilio est solitaire, comme le souligne cruellement le finale, lorsque tout le monde s’embrasse et se congratule et que lui n’a personne à embrasser. Mais la référence n’est pas trop appuyée et ni Éric Vignau ni Galin Stoev ne tombent dans un vulgaire et banal numéro de « folle ». Enfin, Yuri Kissin « assure » en Figaro, convaincant en homme du peuple bien décidé à ne pas se laisser voler sa femme, et bouleversé quand il se croit trompé par elle.

Si la mise en scène ne manque jamais de rythme (la fin de l’acte II est complètement folle), les décors sont moins enthousiasmants. La vieille télévision en noir et blanc, les panneaux en bois rappellent les années 1950-1960 : un choix sans doute pas innocent, évocateur de l’émancipation des femmes, avec à la clé une remise en cause de la domination masculine qui affecte le Comte comme son valet. Cependant, costumes comme décors ne sont pas assez marqués pour ancrer avec certitude la mise en scène dans une époque précise.

Enfin, des néons blancs sont tantôt utilisés au plafond, tantôt au sol dans la dernière scène, mais aussi, ce qui laisse beaucoup plus perplexe, pour symboliser la surface d’une étendue d’eau dans laquelle les personnages barbotent.

Le metteur en scène a également recours à des vidéos, projetées sur les parois de cabines déplacées sur le plateau au fur et à mesure de l’action. Ce n’est pas toujours indispensable, mais produit un indéniable effet comique quand les images ajoutent à la cocasserie des situations (Chérubin saute par la fenêtre sur un parterre de fleurs : images très rétro d’athlètes en train de sauter à la perche).

Après trois heures d’un tel feu d’artifice, le finale est totalement maîtrisé. Le pardon accordé par la Comtesse résonne dans toute sa bonté, les voix de tous les chanteurs se mêlant avec une douceur parfaite. Et puis, après un dernier éclat de rire, le rideau tombe sur une soirée pleine, vraiment satisfaisante, comme on aimerait en vivre plus souvent. 

Céline Doukhan

  1. Lire https://lestroiscoups.fr/la-botte-secrete-de-claude-terrasse-lathenee-theatre-louis-jouvet-a-paris/

les Noces de Figaro, de Wolfgang Amadeus Mozart et Lorenzo Da Ponte

Mise en scène : Galin Stoev, assisté d’Émilie Rault

Direction musicale : Alexis Kossenko

Avec Yuri Kissin (Figaro), Camille Poul (Susanna), Thomas Dolé (le Comte), Diana Axentii (la Comtesse), Ambroisine Bré (Chérubin), Frédéric Caton (Bartolo / Antonio), Salomé Haller (Marcellina), Éric Vignau (Don Basilio, Don Curzio), Hélène Walter (Barberina)

Régie générale / vidéo : Patrick Lejoncourt

Régie lumière : Anne Coudret

Régie plateau : Jean‑Michel Arbogast

et avec les musiciens de l’ensemble instrumental les Ambassadeurs : Zefira Valova, Domitille Gilon, Gabriel Ferry, David Wish, Diana Lee, Louis Creac’h, Anthony Marini, Alain Pégeot, Marco Massera, Tormod Dalen, Gulrim Choï, Ludovic Coutineau, Anna Besson, Guillaume Cuiller, François Miquel, David Douçot, Lionel Renoux, Nicolas Chedmail, Élisabeth Geiger, Dominique Lacomblez

Scénographie : Alban Ho Van

Costumes : Delphine Brouard

Lumières : Elsa Revol

Photos : © R. Dugovic

Les Quinconces • place des Jacobins • 72000 Le Mans

www.quinconces-espal.com

Réservations : 02 43 50 21 50

Les 14 et 15 janvier 2016 à 20 h 30, le 17 janvier à 17 heures

Durée : 3 h 5 avec entracte

23 € | 14 € | 11 € | 9 € | 8 €

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