L’Été à la Maison Maria Casarès, reportage 2023, Alloue

Les-Nuits-Blanches-Dostoievski-Mathias-Zakhar©-Joseph-Banderet

Quand souffle l’esprit du TNP

Par Laura Plas
Les Trois Coups

Cet été encore, Johanna Silberstein et Matthieu Roy nous ouvrent les portes de La Maison Maria Casarès, pimpante de ses travaux, pour partager patrimoine vivant, créations théâtrales et gastronomie. Un autre jardin des délices qui bouture jusqu’à Poitiers et où plane l’esprit si généreux du TNP !

Vous ne connaissez pas la Vergne ? Vous ne vous êtes jamais engagés sur ce chemin arboré qui décida, jadis, Maria Casarès à acheter le domaine ? Dans ce cas, on vous envie un peu de vos futurs enchantements. Car le domaine d’Alloue est un jardin hors du monde : comme une parenthèse tracée loin de sa cacophonie. En lui-même, le cadre vaut le détour. La tour, le logis, les petits chemins et les mares convoquent la rêverie. On y trouve l’ombre des arbres, la joie de possibles enjambées solitaires, le compagnonnage d’oiseaux et de papillons bleus.

Et puis les maîtres du lieu ont été, depuis sept ans, ses dévoués serviteurs. Résultat : ça y est, la demeure a été débarrassée de son crépi. Presque éblouissante, la pierre du logis est apparue. Dans ce jardin que Maria aimait, vous pourrez aussi sentir les aromates, admirer le potager… Et le logis a bouturé. En septembre, ouvrira en effet à Poitiers la Scène Maria Casarès donc, où Johanna Silberstein et Matthieu Roy parachèveront le travail de diffusion des créations.

Mais que les habitués se rassurent ! Revenir à Alloue, c’est vivre de joyeuses et étonnantes retrouvailles. On se sent un peu chez soi et pourtant tout est toujours un peu différent. D’abord, la scénographie du domaine a été modifiée, ce qui permet de redécouvrir le lieu sans se sentir frustrés que la Maison elle-même soit fermée. Elle nous accueillera de toute façon, tout de neuf refaite, à la saison prochaine.

Dîner à la Maison Maria Casarès © Joseph Banderet

Ensuite, si Matthieu Roy nous propose deux spectacles qu’il a rôdés sur d’autres plateaux : pour le très jeune public Je suis un lac gelé, de Sophie Merceron, et Ce Silence entre nous, de Mihaela Michailov, qu’on avait pu apprécier aux Zébrures d’automne à Limoges. Ici, c’est dans un cadre de verdure et avec une distribution renouvelée. Seule reprise, la si belle visite contée, dont nous avons déjà évoqué la délicatesse.

Si le menu des spectacles est varié, il y a aussi du nouveau pour nos papilles. Inaugurant un partenariat, Le domaine nous régale d’une cuisine maison et zéro déchet. Si cette année, on se réjouit que soit à nouveau proposé un menu végétarien (en alternative), c’est la première fois qu’on aura le choix sur les entrées et les desserts. Miam ! Transats et grandes tablées nous attendent pour causer avec des amis ou s’en faire de nouveaux, tandis qu’à la buvette-librairie, on peut avoir la chance de surprendre la conversation entre un bénévole et une dame qui a connu les lieux du temps de Maria.

Le souffle du TNP

Précisément. Généreux, accueillant dans sa tarification comme dans la simplicité de ses hôtes, le lieu semble habité par l’esprit du TNP, dont Gérard Philipe et Maria Casarès furent justement des flammes vives. C’est ce qui nous a marqué cette année en voyant deux pépites du festival : l’exposition augmentée : Les Enfants terribles, Maria Casarès et Gérard Philippe et le dîner-spectacle Les Nuits Blanches.

Exposition augmentée « Les Enfants terribles » © Joseph Banderet

On avait tant aimé la lecture des lettres de Maria et Gérard, l’an passé, à la Maison Jean Vilar, qu’on avait peur de découvrir sa métamorphose en exposition. À tort. La dramaturgie de Johanna Silberstein est pertinente et délicate. Elle crée des échos entre les écrits proposés, nous fait ressentir ce que nous écoutons : engagements coléreux et généreux, méandres et boucles tragiques de la vie. Les voix de Charlie Fabert et Anne Duverneuil parviennent à convoquer ceux qu’ils incarnent et qui les rejoindront dans un bel ultime hommage sonore. On y gagne une forme d’intimité avec les comédiens qui jouent pour être entendus dans le creux de notre oreille.

De plus, la lecture se fait exposition sur l’herbe et on ne peut qu’admirer la scénographie qui s’y déploie. Ici, une photo est suspendue à une branche, comme un fruit. Là, deux arbres offrent comme un cadre à un cliché et il semble que leurs branches traduisent l’élan de la jeunesse. Partout, la beauté des clichés en noir et blanc fait surgir dans la verdure de notre présent les fantômes si vivants du TNP. Qu’ils sont beaux, qu’ils semblent proches !

« Les Nuits Blanches », Dostoievski Mathias Zakhar © Joseph Banderet

Enfin, on a la joie de retrouver Charlie Fabert et Anne Duverneuil en chair et en os dans Les Nuits Blanches, d’après Dostoïveski, mis en scène par Mathias Zakhar. L’adaptation conjointement réalisée par le metteur en scène et ses interprètes est réussie. Elle fait aussi entendre la splendide langue de Marina Svetaïeva : une bien belle idée.

La mise en scène, qui fait heureusement confiance aux comédiens, fait mouche par son économie, sa façon d’exploiter les ressources d’une scénographie simple mais efficace. Les déplacements sont fluides, les ellipses, claires. Le dispositif bi-frontal permet séparations et retrouvailles, tout en nous propulsant quelque part en Russie, sur un pont. On se dirait parfois au cinéma tant le jeu a d’évidence et de naturel et tant scénographie et déplacements évoquent la technique du travelling.

Quant à la bande son, elle compose une vraie partition avec les bruits du domaine : le vent dans les branches, les petits crépitements des feuilles. Refusant l’illustration, elle parfait une mise en scène qui émeut par sa fraîcheur. « Plus, c’est simple, mieux, c’est », dit l’un des personnages. On opine, car la simplicité est une élégance. Les comédiens sont bouleversants, investis, lumineux. Ils nous font redécouvrir Dostoïevski. Grâce à leur talent et celui de leur metteur en scène, nous suivons, le cœur palpitant et le sourire aux lèvres, une beau conte d’amour. Les fantômes du TNP doivent se réjouir et nous aussi ! 🔴

Laura Plas


La correspondance entre Maria Casarès et Albert Camus (visite contée)

La Correspondance est éditée aux Editions Gallimard
Cie Veilleur®
Mise en voix : Matthieu Roy
Avec : Philippe Canales et Johanna Silberstein
Dramaturgie : Johanna Silberstein
Enregistrement des voix : Grégoire Leymarie
Composition musicale : Aurélien Dumont
Réalisateur en informatique musicale : Étienne Démoulin avec l’ensemble Instant donné et le quatuor Opus 333
Accompagnement technique : Jean de La Roche
Dès 12 ans
De 14 h 30 à 18 heures (en continu)
5 €

Les Enfants terribles : Maria Casarès et Gérard Philipe (exposition augmentée)

Cie Veilleur®
Conception : Johanna Silberstein et Matthieu Roy, assistés de Giulia Zoccolan et Sari Van de Velde
Mise en voix : Matthieu Roy
Avec : Anne Duverneuil et Charlie Fabert
Dramaturgie : Johanna Silberstein
Enregistrement des voix : Grégoire Leymarie
Accompagnement technique : Jean de La Roche
Recherche photographique : Bérénice Gasc et Giulia Zoccolan
Régie générale : Thomas Elsendoorn
Dès 12 ans
De 14 h 30 à 19 heures (en continu)
5 €

Je suis un lac gelé, de Sophie Merceron (goûter-spectacle)

Le texte est publié aux Editions L’École des loisirs
Cie Veilleur®
Mise en scène : Matthieu Roy
Avec : Mathias Zakhar et les voix de Théophile Sclavis et Johanna Silberstein
Création sonore : Grégoire Leymarie
Costumes : Alex Costantino
Régie générale : Thomas Elsendoorn
Durée : 40 minutes
Tout public
Teaser sur le site théâtre contemporain
À 16 h 30 (suivi d’un goûter)
5 €

Ce Silence entre nous, de Mihaela Michailov (apéro-spectacle)

Le texte est traduit par Alexandra Lazarecou
Cie Veilleur®
Mise en scène : Matthieu Roy
Avec : Ysanis Padonou et Johanna Silberstein
Plasticien : Bruce Clarke
Création sonore : Grégoire Leymarie
Costumes : Alex Costantino
Construction décor : Thomas Elsendoorn et Alain Pinochet
Durée : 1 heure
Dès 15 ans
Le spectacle a été créé dans le cadre des zébrures d’automne en septembre 2022
À 18 h 30
5 €

Les Nuits blanches, d’après Fiodor Dostoïveski (dîner-spectacle)

Le texte est édité chez Acte Sud dans la collection Babel et est traduit par André Markowicz
Cie kilomètre zéro
Mise en scène et adaptation : Mathias Zakhar
Avec : Anne Duverneuil et Charlie Fabert
Création sonore : Hippolyte Leblanc
Régie générale : Roméo Rebiere
Durée : 1 h 10
Dès 15 ans (les enfants de 5 à 10 ans sont pris en charge dans un atelier puis assistent au dîner : 15 €)
Le spectacle a été créé dans le cadre du dispositif Jeunes Pousses de la Maison Maria Casarès en septembre 2022
Teaser
À 20 heures
25 € / 15 € pour les enfants

Maison Maria Casarès • Domaine de la Vergne • 16490 Alloue
Réservations : 05 45 31 81 22 ou par mail
Dans le cadre de L’Été à la Maison Maria Casarès, du 24 juillet au 18 août 2023 (relâches les samedis et dimanche)

À découvrir sur Les Trois Coups :
Exposition, lecture, Maison Jean Vilar, Avignon, par Laura Plas
Et que mon règne arrive, de Léonora Miano, Ce Silence entre nous, de Mihaela Michailov, Les Zébrures d’automne, à Limoges

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