La Grande Guerre en toutes lettres
Par Bénédicte Fantin
Les Trois Coups
Inspiré de correspondances réelles, le texte de Jean-François Viot nous fait revivre une histoire familiale lors de la Grande Guerre, à travers la relation épistolaire qu’entretiennent un instituteur parti au front et sa femme, restée à l’arrière. Les belles trouvailles de mise en scène d’Yves Beaunesne donnent vie à cette forme atypique au théâtre.
Début août 1914, Jean Martin, l’instituteur d’un petit village auvergnat, est mobilisé. Il quitte son épouse, Élise, et leurs deux enfants, Camille et Arthur, en nourrissant l’espoir d’être de retour pour Noël. Le départ au front est teinté d’une relative insouciance. Jean retrouve les amis avec lesquels il a fait son service militaire. Ses lettres à Élise se veulent rassurantes, remplies d’anecdotes tragicomiques qui racontent, en creux, l’absurdité de la guerre.
Élise, quant à elle, raconte à son mari le vide que les hommes ont laissé derrière eux, la charge de travail qui incombe désormais aux femmes du village. Elles les remplacent à l’usine ou aux champs, tout en élevant des enfants qui commencent à oublier le visage de leur père. La guerre s’éternise. Les hivers se succèdent et l’usure se fait sentir, au front comme à l’arrière.
« Le chaudron d’un théâtre de tréteaux »
D’abord simple lecteur de la correspondance, alternant entre la partition de l’homme et celle de la femme, Elie Triffault quitte sa neutralité pour incarner la voix de Jean, qui lui parvient du passé. Comme gagné par une irrépressible empathie, le comédien abolit progressivement la distance qui le sépare de Jean pour s’approprier ses mots. Quant à la partition féminine, elle trouve une nouvelle résonance lorsqu’elle est interprétée par Lou Chauvain, qui donne corps à Élise. Les lettres du couple reprennent alors vie sur scène.
Les voix des comédiens s’entremêlent sans qu’ils ne se voient. La distance qui les sépare est matérialisée par un panneau vitrifié qui permet un jeu entre l’avant-scène (le front, où se trouve Jean) et le fond de scène (l’arrière, où l’attend Élise). Ce même panneau sert de support à des dessins à main levée tracés par Elie Triffault durant la représentation. Des croquis qui permettent d’ancrer l’échange épistolaire dans une réalité à la fois historique et intime : une carte évolutive de l’Europe en guerre y côtoie les dessins des enfants joints aux lettres d’Élise, ceux des camarades de tranchées réalisés par Jean ou des bribes de messages d’amour et d’espoir échangés par le couple. Le panneau apparaît aussi comme un clin d’œil à l’ancien métier de Jean, instituteur avant sa mobilisation, qui conserve, malgré tout, une volonté touchante de didactisme.
Les deux comédiens se retrouvent côte à côte à un seul moment – poignant – celui de la permission accordée à Jean. Les deux corps s’enlacent fugacement au milieu du plateau avant de rejoindre leurs places respectives sur scène. Les lettres prennent le relais dramaturgique. Elles expriment alors toutes les désillusions du couple suite à la permission : les enfants qui ne reconnaissent plus leur père blessé au visage ou ce prétendu ami qui semble vouloir remplacer Jean, sous prétexte d’aider Élise aux champs. La voix d’Élise a beau se faire toujours plus tendre et dévouée, elle résonne désormais seule sur le plateau. Ne restent que les mots tracés sur le panneau comme témoignage d’un amour brisé par la guerre.¶
Bénédicte Fantin
Lettres à Élise de Jean-François Viot
Mise en scène : Yves Beaunesne
Avec : Lou Chauvain et Elie Triffault
Scénographie et vidéo : Damien Caille-Perret
Lumières : Baptiste Bussy
Création musicale : Camille Rocailleux
Création costumes, maquillages et coiffures : Catherine Bénard
Assistanat à la mise en scène : Pauline Buffet
Durée : 1 h 15
Photo © Guy Delahaye
Théâtre de l’Atalante • 10 Place Charles Dullin • 75018 Paris
Du 23 mars au 14 avril 2018, le lundi, mardi et mercredi à 20 h 30, le jeudi et samedi à 19 heures et le dimanche à 17 heures
De 8 € à 20 €
Réservations : 01 46 06 11 90