À bas les tabous !
Par Fatima Miloudi
Les Trois Coups
Un spectateur averti en vaut deux. Vous voulez rire, mais vous pensez qu’il faut savoir mesure garder. Alors, sans aucun doute, ce spectacle n’est pas pour vous. Vous pensez, au contraire, que l’on peut rire de tout et qu’il n’y a pas mieux que de faire voler en éclats les faux-semblants et les tabous. Vous pouvez être rassurés, les textes de Rodrigo García, mis en scène par Marion Poppenborg, sauront encore vous provoquer. Il n’y a de limite à rien, et c’est tant mieux.
Décor lié à l’enfance. Sur scène, un rideau rouge derrière lequel les comédiens, telles trois marionnettes apparaissent à mi-corps. Le premier, veste en cuir, physique sec, tempérament vif ; le second, cheveux hirsutes, visage poupin et accent capable d’évoquer à la fois la dérision et la candeur ; elle, jolie poupée, du rose aux joues, du bleu aux yeux. Le délire n’attend pas l’ouverture du rideau. Fixation sur la bouffe : le repas qui accapare l’esprit des hommes – à peine ingurgité, que mangera-t-on après ? ; le M de Mac Donald’s, devenu l’aboutissement d’une quête et l’annonciateur d’un véritable havre de sécurité. La critique est virulente et emprunte les chemins de l’amplification et de l’absurde. Quoique… Regard sans mansuétude sur l’état du monde : « Si tu as neuf ans et que tu vis à Lisbonne, tu vas au Mac Donald’s le dimanche, si tu as neuf ans et que tu vis à Cuba, tu vas sucer la b… d’un touriste italien ».
Le moins que l’on puisse dire, il est vrai, est que l’argumentation n’a rien d’académique. Accumulation des dérives et des crimes : les cerveaux laminés par le credo de la consommation, la journée de huit heures qui ne laisse rien pour penser, les sujets de conversation stériles et qui n’engagent à rien – focalisation d’une extravagance hilarante sur la phobie des salades. D’autres sujets s’ajoutent pêle-mêle, qu’il s’agit non seulement de dénoncer mais de montrer de la façon la plus scabreuse : masturbation devant un programme télé suggestif, pédophilie et inceste. Les jambes sont écartées, les dos pliés et les mouvements suivent : poupée ou corps de comédien bien placés.
On se dit, quelquefois, que c’est quand même un peu trop. On se dit : ils osent. Et puis : ils ont osé. Encore une fois : tant mieux. Tout est excès, farce, mais jamais il n’y a oubli du propos. Voilà bien là un théâtre engagé qui se passe d’une morale à trois sous. Ici, quand on n’a pas les yeux ouverts, on vous les ouvre. Cependant, la mise en scène est sans commune mesure avec celle de l’auteur à Avignon, au cloître des Célestins en 2004. Si le texte et les gestes sont, à leur manière, toujours corrosifs, le spectateur n’est pas rebuté. On le préserve. Le décor renvoie à l’enfance : salle de jeux jonchée d’un amas hétéroclite ou castelet, il n’y a rien là de repoussant. Le lieu séduit plutôt et rassure. Premiers pas pour un théâtre politisé. Les comédiens, quant à eux, réussissent à faire passer un texte souvent cru en jouant sur l’humour et une énergie débordante. Ils sont drôles et imprévisibles. Par là, ils se gagnent, à coup sûr, le spectateur. Avec eux, heureusement, le clown est rentré au cirque, et ils mettent tout sens dessus dessous. ¶
Fatima Miloudi
l’Histoire de Ronald, le clown de Mac Donald’s et J’ai acheté une pelle chez Ikea pour creuser ma tombe, de Rodrigo García
Production du Théâtre du Centaure
Adaptation française : Christilla Vasserot
Mise en scène : Marion Poppenborg
Scénographie : Jeanny Kratochwil
Avec : Laure Roldan, Jérôme Varanfrain, Max Tommes
Théâtre du Balcon • 8, rue Guillaume‑Puy • 84000 Avignon
Réservations : 04 90 85 00 80
Du 8 au 31 juillet 2009 à 11 heures
Durée : 1 heure
17 € | 12 €