Magistrale
et bouleversante
leçon d’histoire
Par Trina Mounier
Les Trois Coups
Vingt-cinq ans après, de jeunes comédiens cambodgiens s’emparent de la pièce d’Hélène Cixous et de la mise en scène d’Ariane Mnouchkine pour raconter à leur tour, sous la direction de Delphine Cottu et Georges Bigot, tous deux membres du Théâtre du Soleil, « l’Histoire terrible mais inachevée de Norodom Sihanouk, roi du Cambodge ». Le projet était magnifique, le résultat au-delà des espérances : un spectacle absolument maîtrisé qui résonne encore longuement après les dernières répliques.
La pièce, d’abord, est formidable : une leçon d’Histoire engagée et passionnante qui fait défiler Henry Kissinger, Zou Enlaï, Hô Chi Minh aux côtés d’un petit peuple khmer toujours humilié, mais incroyablement dynamique et capable de renaître dans les pires moments, avec, dans le rôle du chevalier blanc, un prince merveilleusement humain, Norodom Sihanouk en personne.
C’est une incroyable jeune comédienne, une boule d’énergie, qui campe ce héros comme les aime Mnouchkine, tout à la fois enfant capricieux et stratège maladroit, mais mu par un ressort puissant, l’amour de son pays, dont il est décidé à sauver l’indépendance et la dignité. Il faut voir avec quelle inconscience et quel culot il chasse l’ambassadeur des États-Unis, comme il traite de noms d’oiseaux les industriels voraces, comme il parcourt le monde à la recherche d’appuis politiques et militaires !
La parole aux naïfs, aux sans‑voix
Ariane Mnouchkine a toujours aimé raconter l’Histoire par les émotions, à travers les visages de ses comédiens qui disent si bien la douleur, la peur, l’espoir, le désarroi. Elle le fait ici encore. Et si cela marche si bien, c’est sans doute parce que ces comédiens, avec tout leur talent professionnel (on ne reviendra pas sur le paradoxe du comédien), sont eux-mêmes des survivants du génocide et que c’est grâce au théâtre qu’ils ont réussi à se reconstruire.
Sans entrer dans le détail, disons que l’École des arts Phare Ponleu Selpak, dont ils sont issus et qui les a formés (si bien) aux disciplines des arts du spectacle, du cirque, de la musique et des arts visuels, tire son origine des ateliers pour enfants fondés en 1982 dans un camp de réfugiés. C’est aujourd’hui un des centres culturels les plus importants du Cambodge. Ces comédiens y ont vécu leur enfance orpheline…
Les acteurs, les acteurs, rien que les acteurs.
Le décor est réduit à sa plus sobre expression : un grand plancher surélevé au centre permet d’imaginer alentour les rues du village, les corridors du palais, les couloirs d’aéroports, les vestibules où l’on attend d’être reçu chez les puissants. Au fond, de grandes tentures dorées pour le palais, sur le côté un orchestre khmer… C’est là que tout se passe, des scènes émouvantes entre le Prince et son père aux intrigues de cour, en passant par les accords secrets entre grandes puissances ou les calculs cyniques du grand Satan…
Quels acteurs ! Et surtout quel art du conteur… Et lorsque le spectacle se termine, l’Histoire, elle, n’est pas achevée : Pol Pot dresse son ombre, Norodom Sihanouk ne perçoit pas le danger. On aimerait comme à Guignol crier « Au loup », on reste étreint par l’émotion… Tout d’un coup, ce spectacle résonne avec l’ensemble de ceux, tous différents, qui sont présentés dans ce festival remarquable, et ce n’est malheureusement pas rassurant ! ¶
Trina Mounier
l’Histoire terrible mais inachevée de Norodom Sihanouk, roi du Cambodge, d’Hélène Cixous
Traduction : Ang Chouléan
Festival Sens interdits
Mise en scène : Georges Bigot et Delphine Cottu
Assistante à la mise en scène : Sophie Piollet
Re-création en khmer (surtitré français) d’après la mise en scène d’Ariane Mnouchkine (1985)
Avec : Chea Ravy, Chhit Phearath, Chhit Chanpireak, Horn Sophea, Houn Bonthoeun, Huot Hoeurn, Huoth Hieng, Khuon Anann, Khuonthan Chamroeun, Mao Sy, Nouv Srey Leab, Nut Samnang, Ong Phana, Pin Sreybo, Pov Thy Nitra, Preap Pouch, Sam Monny, Sam Sary, San Marady, Sim Sophal, Sok Doeun, Sok Kring, Thorn Sovannkiry, Uk Kosal, Uk Sinat
Musicien : Norng Chantha, Pho Bora, Pring Sopheara, Vath Chenda
Créateur lumière : Elsa Revol
Créateur costumes : Marie‑Hélène Bouvet, Élisabeth Cerqueira
Direction historique et textuelle : Ashley Thompson
Espace : Everest Canto de Montserrat, Elena Antsiferova
Interprète et surtitrage : Rotha Moeng
Photos : © Everest Canto de Montserrat
Coproduction Théâtre du Soleil, festival Sens interdits, les Célestins, théâtre de Lyon
Production déléguée festival Sens interdits, les Célestins, théâtre de Lyon
Coréalisation École des arts Phare Ponleu Selpak
Les Célestins • 4, rue Charles‑Dullin • 69002 Lyon
http://www.celestins-lyon.org/
Les 26, 27 et 28 octobre 2011 à 20 heures
Durée : 3 heures environ
Prix des places : de 4 € à 26 €
Tournée :
- Jeudi 3 novembre 2011 à 20 h 30 au Théâtre de Villefranche-sur‑Saône
- Vendredi 4 novembre 2011 à 20 heures au Théâtre de Vénissieux
- Samedi 5 novembre 2011 à 20 heures à la Comédie de Valence
- Lundi 7 novembre 2011 à 19 h 30 à l’espace Malraux (Chambéry)
- Mardi 8 novembre 2011 à 19 h 30 et mercredi 9 novembre 2011 à 19 h 30 à la M.C.2 (Grenoble)