Le petit bleu
Léna Martinelli
Les Trois Coups
Labellisé « Olympiade culturelle », « Like me » traite du premier Français à avoir remporté le titre de champion du monde d’apnée en 2014. Le sport est un prétexte pour explorer les questions de l’injonction sociale à la performance et de l’image publique. Mais quel prétexte ! Entre dépassement de soi et regard des autres, Léonore Confino tricote un récit d’une grande profondeur, remarquablement servi par Simon Dusart, dans une mise en scène fraîche, en piscine.
On parle beaucoup de spectacle immersif, souvent à tort et à travers. Like me est une véritable plongée en eaux troubles, pas tant pour la déambulation que pour ce qu’il laisse affleurer. Comment un athlète de haut niveau gère-t-il la pression, entre « euphorie » et « terreur » ? Celle de sa discipline, bien sûr, mais surtout de ses fans, prompts à « liker » et à commenter. « L’admiration est un poison », reconnaît son proche entourage. Jusqu’où Simon Volser sera-t-il prêt à aller afin de sauver son ego ?
Immersion en eaux troubles
Accueilli par l’équipe, le public est donc aussitôt équipé d’un casque. Aux manettes d’une régie portative, Xavier Leloux nous suit des vestiaires aux douches, du pédiluve au bassin. Pas le Grand Bleu mais presque ! Ses compositions électros sont interprétées en direct, avec un montage de sons suggestifs. Ainsi, entend-on très bien Simon, ses digressions sur son quotidien rythmé par les entraînement et ses rituels : « Chaque minute compte. Je dois accepter la pression, la faire mienne. Tenir, jusqu’à l’asphyxie. Je dicte mes règles, je suis un conquérant de l’impossible. » Cela débute telle une conférence in situ, puis des témoignages alternent avec le sien. Le teaser présente la pièce comme un thriller. Dans le spectacle, il est juste question d’une enquête au sujet d’une noyade évitée de justesse, d’une vidéo virale. On comprend des bribes. Un puzzle est à reconstituer. Peut-on plaire à tout prix ?
Au départ, Pauline Van Lancker et Simon Dusart ont l’idée d’un spectacle hors les murs qui parlerait de la façon dont on se met en scène dans la vie et sur les réseaux sociaux, notamment chez les adolescents auprès de qui ils interviennent souvent. Ils passent commande à la talentueuse Léonore Confino, sensible à ces sujets. La piscine est vite apparue comme une évidence pour la question de l’exhibition, de la quête de la perfection, du narcissisme. Très habile, l’autrice tire plusieurs fils, entre vérité et mensonge, entre pulsions de vie et de mort. La mise en scène joue avec les espaces pour traiter subtilement du voyeurisme.
Subtile jeu des apparences
Nous découvrons donc un univers, celui des compétitions et de ce sport exigeant, dont les représentants mettent en jeu leur existence, pour quelques secondes gagnées sur un record. Et nous plongeons jusque dans l’intimité d’un champion devenu héros, jusqu’à découvrir sa face cachée. Très bien construit, le texte est riche en métaphores et respirations poétiques. Il renvoie aux notions d’élévation et de chute.
Le personnage livre d’abord une description scientifique : « Avant une performance, (…) je passe toujours par une prévisualisation de l’expérience. (…) Tout l’oxygène du corps se concentre sur les organes vitaux, cerveau, cœur, poumons. C’est une densité extraordinaire. » Simon se laisse ensuite traversé par un flot de pensées, sans doute comme lorsqu’il retient son souffle, repoussant sans cesse la mort : le fond de l’eau devient un « refuge », le lieu où il peut enfin s’oublier. « Et pour gagner la minute ultime, j’appelle mon enfance, je caresse gentiment la joue de ceux qui m’ont maintenu la tête sous l’eau ». Une évocation glaçante du harcèlement, source de sa vocation mais aussi de tous ses maux. De quoi avoir des bleus à l’âme.
Touché, coulé ?
S’il est difficile de contrôler son image, la vie laisse des traces parfois indélébiles. La mise en scène invite à questionner nos traumas et nos limites, nos arrangements (in)conscients. D’abord solution technique efficace, la diffusion du son par casque ajoute une dimension spéciale : au-delà de la maîtrise de la communication et de l’introspection, elle fait entendre la voix des autres, autant de versions différentes de l’histoire, de contre-points intéressants. Une matérialisation de la distorsion du moi, sinon de la schizophrénie, qui guette les accros des réseaux sociaux.
Enfin, Simon Dusart est un remarquable interprète, presque dans une forme… olympique. Beaucoup se laissent prendre au jeu, pensant qu’il est réellement athlète. Rompu à la séduction, le personnage s’adresse à chacun, avant de créer un malaise, ténu. Très fort pour « noyer le poisson », sa duplicité finit par déranger. Pourtant, même s’il cache les failles de ce modèle au fond de la piscine, le comédien parvient à nous toucher.
Un spectacle palpitant qui pulvérise les faux-semblants de manière originale. Au passage, on imagine très bien une suite cinématographique. La qualité du teaser nous laisse penser qu’il y a matière à un judicieux complément. 🔴
Léna Martinelli
Like me, de Léonore Confino
Cie dans l’arbre
Mise en scène : Pauline Van Lancker
Interprétation : Simon Dusart
Création musicale : Xavier Leloux
Avec les voix de : Azeddine Benamara, Murielle Colvez, David Lacomblez,
Tom Lecocq, Florence Masure, Zoé Pinelli
Initiation apnée : Clémentine Quenon, Frédéric Pinelli
Dès 12 ans
Durée : 55 minutes
Centre aquatique Les Océanides • avec le Théâtre du Cormier • 95240 Cormeilles-en-Parisis
Les 17 et 18 mars 2024
Tel. : 01 34 50 47 65
Tournée ici, dont :
• Les 26, 28 et 29 mars, ACB, scène nationale Bar-Le-Duc (55)
• Du 2 au 6 avril, piscine Dunois, avec Le Théâtre Dunois, à Paris (75)
• Le 5 mai, Théâtre Gérard Philipe, à Frouard (54)
• Les 16 et 17 mai, La Minoterie, à Dijon (21)
À découvrir sur Les Trois Coups :
☛ L’Enfant de verre, de Léonore Confino, par Léna Martinelli
☛ Smoke Rings, d’après Léonore Confino, par Léna Martinelli
Photos © Kalimba Mendès