« L’Installation de la peur », Alain Timár, Théâtre des Halles, Festival Off Avignon

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Cabaret de toutes les peurs !

Par Léna Martinelli
Les Trois Coups

Huis-clos grinçant, l’Installation de la peur est un étonnant thriller tragi-comique. À voir aussi pour la mise en scène d’Alain Timár, qui flirte habilement avec les codes du fantastique et de l’absurde.

Deux hommes se présentent et annoncent, avec un grand sourire : « En conformité avec la directive, nous venons vous installer la peur ». Ce technicien et son ouvrier sont-ils des fonctionnaires d’un état autoritaire ou de simples agents au service du maintien de l’ordre dans une société de surveillance comparable à la nôtre ? En tout cas, ces lascars-là font bien la paire. Sournois, retors, ils instillent leur poison, font planer des menaces de toutes sortes.

Emaillée de réflexions sur leur propagation, la pièce passe en revue toutes les phobies ou angoisses, des peurs enfantines ou primitives, à celles plus contemporaines des virus, du chômage ou encore des marchés financiers tourneboulés. On pense à Kafka pour l’étrangeté poétique ou à Ionesco pour l’absurde. Mais c’est surtout Brecht qui se rappelle à notre souvenir, avec le recours à la distanciation pour transmettre un discours politique. Les références abondent, en fait : entre roman d’anticipation à la Orwell, clins d’œil à Hitchcock ou à Terry Gilliam, le public s’amuse à naviguer d’un univers à un autre.

Entre conte philosophique et cabaret

Bravo à Alain Timár pour cet éclairage sur un auteur portugais peu connu en France : Rui Zink qui a tout de même reçu le Prix Utopiales Européen pour l’Installation de la peur. Avec Michael Stampe, il a souhaité adapter ce roman de 2016, pour l’acuité du propos. Et son universalité ! Derrière la respectable façade de la démocratie, notre système financier totalitaire n’engendre-t-il pas des monstres capables de tout ? Comme avant les deux guerres mondiales…

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© Barbara Buchmann

Malgré les thèmes graves (la peur de l’Autre, le processus d’embrigadement, l’incitation à la haine, la résistance…), la mise en scène apporte légèreté et fantaisie, non sans férocité. Sarcasme et dérision, mais aussi créativité débridée aident à exorciser nos peurs. De belles idées déjouent habilement les pièges du didactisme et nous maintiennent en haleine.

En Mme loyal, Valérie Alane mène le jeu, avec l’aide d’un pianiste enjoué (Vadim Sher). Tandis que son comparse bat la mesure, elle apporte des respirations bienvenues en commentant, en ironisant et, parfois, en nous rassurant. Avec leur physique de Laurel et Hardy, Edward Decesari et Nicolas Gény déploient un jeu très dynamique. On pense évidemment au clown blanc, cérébral, et à l’Auguste, ballot. Piégée, terrifiée, la mère est jouée par Charlotte Adrien, formidable, car en contraste avec le jeu volubile du duo, elle s’impose par son quasi-mutisme.

Entraîné dans ce délire, le spectateur ressort de là quelque peu bousculé. La pièce prend des allures de conte philosophique, mais le propos résonne tragiquement avec notre actualité. Si le rire l’emporte sur l’effroi, ça fait peur tout ça ! On en frissonne, malgré la canicule. 🔴

Léna Martinelli


L’Installation de la peur, d’après Rui Zink

Traduit du portugais par Maïra Muchnik
Texte publié aux éditions Agullo
Adaptation : Michael Stampe et Alain Timár
Mise en scène et scénographie : Alain Timár
Avec : Charlotte Adrien, Valérie Alane, Edward Decesari, Nicolas Gény et Vadim Sher (pianiste)
Lumières : Olivier Forma
Son : Quentin Bonami
Costumes : Sophie Mangin
Construction décor : Éric Gil et Sébastien Smither
Durée : 1 h 30

Théâtre des Halles • Rue du Roi René • 84000 Avignon
Jusqu’au 30 juillet 2022 (relâche les 13, 20, 27), à 19 heures
Tarifs : de 15 € à 22 €
Réservations : 04 32 76 24 51 ou en ligne
Dans le cadre du Festival Off Avignon
Plus d’infos ici

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