Voyage en père inconnu
Par Pascaline Chambon
Les Trois Coups
Il me faudra rejoindre le « Littoral » pour découvrir le travail de Wajdi Mouawad. Le parvis des Célestins est noir de monde. Le premier volet de sa tétralogie sur l’exil, la filiation et la transmission est ici mis en scène par l’auteur lui-même, dans une effervescence palpable. Je m’attends à beaucoup et ne serai pas déçue.
Un coup de téléphone et la vie de Wilfrid bascule : son père est mort. Il l’enterrera sur sa terre natale. Là est le point de départ d’un voyage initiatique, où la véritable quête est celle du père, des origines, d’une histoire à laquelle il nous faudra nous confronter. Entre rêve et réalité, vision onirique de ceux qui nous ont donné la vie, Wajdi Mouawad nous emmène au plus profond du désespoir de la perte. La recherche de ce que nous sommes n’est-elle donc possible qu’à la seule lumière de ceux qui nous ont précédés ?
Le propos est ici servi par un texte d’une rare puissance et des personnages aux humeurs divergentes. La douleur est présente, mais l’auteur dépeint aussi, avec justesse, la confusion des sentiments engendrée par une telle tragédie. En effet, l’absence nous ramène aussi à l’incompréhension. Des personnages irréels apparaissent alors pour expliquer, décrypter et raconter ceux qui sont partis. À cet égard, les angoisses infantiles de Wilfrid (admirablement interprété par Emmanuel Schwartz) se personnifient en un chevalier qui protège l’antihéros d’une réalité menaçante. L’errance devient donc épique. À cœur et cerveau ouverts, les vertiges de la disparition nous sont tendus, mêlant l’humour au plus grave comme si celui-ci était l’unique échappatoire aux angoisses maladives, à cette solitude brutale.
Pourtant, entre délire et prise de conscience, je ne me suis jamais perdue. La cohérence de ce texte, qui peut paraître complexe, est rendue possible par une mise en scène créative et intelligente. Notamment grâce à la lumière qui habille la scène et délimite les espaces de temps et de lieux. Cela suffit tant les comédiens, par ailleurs, habitent ensemble l’espace. Car Littoral est surtout l’avancée d’un groupe, le vécu de chacun nourrissant les espérances des autres. Les rencontres successives sont autant de pièces du puzzle final.
Dans Littoral, les comédiens remarquables nous invitent au voyage à travers un pays qu’on ne saurait situer. L’horreur de la guerre en toile de fond, la beauté émerge pourtant et nous coupe le souffle. Deux heures quarante en immersion totale, où l’espace scénique devient un monde à part entière. Plus qu’une simple réflexion, c’est en effet un univers que nous propose Wajdi Mouawad. J’ai choisi de le suivre. Sur la route qui y mène, les cultures et les paysages se mélangent, et, sans aucun doute, ce soir, aux Célestins, ça valait le coup d’aller voir la mer. ¶
Pascaline Chambon
Littoral, de Wajdi Mouawad
Mise en scène : Wajdi Mouawad
Assistant à la mise en scène : Alain Roy
Avec : Jean Alibert, Tewfik Jallab, Catherine Larochelle, Patrick Le Mauff, Marie‑Ève Perron, Lahcen Razzougui, Emmanuel Schwartz, Guillaume Séverac‑Schmitz
Scénographie : Emmanuel Clolus
Lumières : Martin Sirois
Son : Yann France
Costumes : Isabelle Larivière
Maquillage : Angelo Barsetti
Production et diffusion : Anne‑Lorraine Vigouroux
Chargée de production : Maryse Beauchesne
Direction technique : Laurent Copeaux
Régisseur général : Philippe Gauthier
Régisseur plateau : Annabelle Courtaud
Régisseur lumières : Sonia Pauly
Habilleuse : Adeline Mommessin
Visuel : © D.R.
Les Célestins • 4, rue Charles-Dullin • 69002 Lyon
Réservations : 04 72 7740 00
Du 21 au 30 avril 2009 à 20 heures, dimanche à 16 heures, relâche le lundi
Durée : 2 h 40
15 € à 32 € | 13,50 € à 29 € | 10 € à 20 €