Le voyage kinésique de Cyrille Musy
Seul sur scène, Cyrille Musy est ici et ailleurs, partout là, démultiplié dans un dispositif sonore original, puis un mapping très réussi. Il est à rebours du temps et en avance sur des lendemains qu’on lui souhaite meilleurs. L’acrobate semble en effet être en pleine crise existentielle. Quand il nous accueille, en début de représentation, il nous apprend que, depuis 40 ans qu’il fait ce métier, il a bien failli s’arrêter, après deux tendinites, une prothèse de la hanche, entre autres réjouissances. Il nous demande : « Ne fait-on pas sans cesse les mêmes erreurs, à cause des mêmes choix ? ».
Avec un mot pour un tel, un autre pour sa voisine (on comprend vite que le texte enregistré en direct est répété en boucle), il nous le répète : malgré les impasses, malgré les épreuves, que sommes-nous finalement prêts à changer dans nos vies si réglées ? Par exemple, pour lui, fini les triples saltos, terminé les prouesses ! Alors, comment avancer ?
Si l’artiste a sans doute beaucoup tourné en rond, l’imagination n’a pas tari. Ni le talent. Car les galipettes ont évolué rapidement en sauts de mains et de pieds et autres belles figures. L’engagement physique est réel. Support acrobatique et ingénieux module scénographique, l’agrès qui occupe toute la scène, sert aussi d’écran de projection et d’objet plastique.
Au centre, le trampoline symbolise le mouvement cyclique. Là, Cyrille Musy va y explorer avec finesse et poésie les répétitions, les évitements et les recherches qui jalonnent nos existences, avec une composition musicale qui donne le tempo. Comme son précédent spectacle, Pulse, la musique retranscrit les rythmes effrénés d’un monde qui s’emballe.
Boucle infernale
D’élans en courses poursuite, d’arrêts en suspensions, tout se joue aussi à d’infimes décalages. « Quelque chose bouge dans l’interstice de la boucle », nous précise-t-il, tandis qu’il défie la monotonie et les rouages du temps qui passe. Il n’y a plus de gravité, d’envers, ni d’endroit. On est déboussolé, c’est le moins qu’on puisse dire. Des lignes se brouillent, mais des espaces s’ouvrent. Grâce à plusieurs écrans judicieusement placés, la partition se décline sur tous les plans. De quoi dégager de nouvelles perspectives !
Repoussant les limites, l’acrobate est tout à fait à l’aise dans ce chaos onirique, ce monde surréaliste. Son corps se déploie dans toutes les dimensions. Il remonte le temps tout en avançant. Incarnant cette dualité entre la répétition libératrice et celle qui entrave, ses mouvements et les projections se fondent pour créer un langage singulier au service d’un propos puissant. Du cirque numérique comme on n’en a jamais vu !
Le spectacle ne se limite pas à ces atouts visuels. Loops nous offre un beau voyage intérieur grâce à un travail dramaturgique de qualité. Dans un monde où les cycles de nos vies tissent des motifs récurrents, Cyrille Musy choisit de rebondir, certes, mais surtout de renaître en se démultipliant. L’esthétique kaléidoscopique permet de découvrir les nombreuses facettes de cet artiste prolifique. Toutefois, le spectacle aurait gagné à être un peu moins bavard.
Mais déjà, le temps file… On repart avec l’envie de bousculer les habitudes, voire de déplacer des montagnes, car le changement, c’est maintenant. Pas demain.
Léna Martinelli
Loops, de Cyrille Musy
Site de la Cie Kaï
Avec : Cyrille Musy
Scénographie, chorégraphie : Cyrille Musy
Création musicale : Victor Belin et Cyrille Musy
Création et régie vidéo : François Berdeaux
Assistant à l’écriture et à la dramaturgie, complicité artistique : Sylvain Décure
Soutien lumière : Jérémie Cusenier
Création costume : Mélinda Mouslim
Construction décor : Vincent Montrieul
Régie son et lumière : Sébastien Orlans
Durée : 50 min
Tout public
L’Atelier à spectacles • 51A, rue de Torçay • 28500 Vernouillet • Tel. : 02 37 42 60 18
Le 15 novembre 2025
De 11 € à 17 €
Dans le cadre de La Nuit du Cirque, du 14 au 16 novembre 2025
Tournée ici :
• Du 16 au 18 décembre, Château Rouge, à Annemasse (74)
• Du 20 au 23 décembre, Le Plongeoir PNC, Le Mans (72)
• Les 13 et 14 février 2026, Le Plus Petit Cirque du Monde, à Bagneux (92)
• Le 18 mai, Théâtre Jean Vilar, à Eysines (33)
