Naissance de la tragédie
Par Trina Mounier
Les Trois Coups
Vingt ans après sa création à l’Odéon, Georges Lavaudant reprend « l’Orestie » d’Eschyle, dans le « petit théâtre romain » de Fourvière (aussi appelé l’Odéon). Un lieu tout indiqué pour faire entendre les imprécations, malédictions, pleurs et appels aux dieux de cette tragédie mythique et mythologique. Surtout quand le ciel s’en mêle, menaçant d’annuler la représentation.
Le metteur en scène n’a abordé que tardivement le théâtre grec, redoutant de ne pas en posséder les clés, et c’est finalement Daniel Loayza qui le convaincra de s’y confronter. Ce dernier assure la traduction de la trilogie composée d’Agamemnon, Les Choéphores et Les Euménides. Georges Lavaudant propose une adaptation qui condense l’essentiel en deux heures et demie de spectacle : l’enchaînement de la haine et de la vengeance, le poids du regard des dieux, la souffrance des hommes, éternels jouets d’un destin cruel. Comme trois actes d’une même pièce.
Pour rappel : l’histoire se déroule il y a deux mille quatre cents ans. C’est si loin qu’on peine à imaginer. Au lendemain de la ruine de Troie, le chef de guerre victorieux Agamemnon rentre chez lui. Décidée à lui faire payer le meurtre de leur fille Iphigénie, son épouse Clytemnestre, aidée de son amant, l’assassine. Elle sera tuée à son tour par Oreste, dont la tragédie éclaire le cas de conscience : sera-t-il matricide pour venger son père, comme le lui demande sa sœur Électre ? Va-t-il laisser impuni ce crime contre le roi, son père ?
Le message d’Eschyle passe-t-il encore aujourd’hui ? Le metteur en scène doit choisir entre deux options : soit moderniser afin de mettre en avant les similitudes de la pièce avec le monde actuel, soit prendre le parti d’une fidélité tatillonne au texte et creuser l’écart avec nos contemporains. Des compromis sont possibles, que choisit Georges Lavaudant, au risque de déstabiliser quelque peu les spectateurs. En effet, le premier « acte » raconte l’arrivée d’Agamemnon, rappelle les principaux épisodes de la guerre de Troie, le piège mortel que tend Clytemnestre et déroule la scène de crime. En un mot, il campe le décor de l’histoire. Le second, plus psychologique, est centré sur la douleur éperdue d’Électre et les pressions qui s’exercent sur Oreste. Quant au troisième « acte », où se déchaîne la fureur des Érinyes, il prend une toute autre dimension : le metteur en scène lâche les rênes, oubliant quelque peu le respect qu’il éprouve pour Eschyle, et propose aux spectateurs une danse macabre façon Goya. Ces créatures du royaume des morts qui ne sont pas tout à fait des dieux se comportent comme des diables moqueurs. C’est le meilleur moment du spectacle, celui où véritablement le metteur en scène se révèle, où le génie de Jean-Pierre Vergier, qui crée depuis toujours les décors et costumes de ses spectacles, éclate. Saluons un décor tout simple mais très efficace, composé de deux portes aux lignes brisées, qui parfois s’ouvrent sur le paysage de la ville, au loin.
Carlo Brandt joueur espiègle
Ceci dit, dès Agamemnon, deux comédiens exceptionnels incarnent le chœur : François Caron et Camille Cobbi commentent l’action, leur humour persifle, leur insolence fait mouche, leurs propos comme leurs mimiques et leurs costumes font référence à aujourd’hui. Ils sont notre regard sur le monde passé. Georges Lavaudant a toujours été un immense directeur d’acteurs avec lesquels il poursuit une longue complicité, sur des dizaines d’années. Si Anne Alvaro déçoit, trop sanglée dans son rôle de mystificatrice qui ne laisse transparaître aucune émotion, Carlo Brandt impose sa présence à la fois dans le rôle du chef de guerre rusé – on ne voit que lui sur le plateau – et dans celui de porte-parole des Érinyes : il effectue alors un numéro de haute voltige insolente, espiègle incontrôlable. Il faut encore dire un mot de la jeune Mélodie Richard, magnifique et touchante Électre, et de Pascal Rénéric qui sait rendre palpables la fragilité d’Oreste et son destin tragique.
Ainsi, le choix d’un va-et-vient déconcertant entre passé et présent permet une montée en puissance du spectacle et débouche sur l’apaisement : les dieux, finalement, accordent leur pardon à Oreste, renvoyant aux Enfers les Érinyes…¶
Trina Mounier
L’Orestie, d’après Eschyle
Mise en scène : Georges Lavaudant
Avec : Anne Alvar, Astrid Bas, Carlo Brandt, François Caron, Camille Cobbi, Babacar Mbaye Fall, Laurent Manzani, Matthieu Marie, Pascal Rénéric, Mélodie Richard, Inna Solano
Durée : 2 h 30
Nuits de Fourvière • 1, rue Clébert • 69005 Lyon
Du 6 au 8 juin 2019 à 21 h 30
Réservations : 04 72 32 00 00
Les 3 et 4 octobre à l’Archipel (Perpignan)
Du 24 au 28 mars 2020 à la MC2 (Grenoble)