Tragi‐parodie à l’Odéon
Par Cédric Enjalbert
Les Trois Coups
Grand marathon à l’Odéon. Le maître des lieux monte « l’Orestie » d’Eschyle. Une trilogie qui nous balade en près de cinq heures de Troie à Athènes en passant par Argos. Il va y avoir des morts disait l’affiche. Qu’importe, j’ai chaussé mes cothurnes et suis entré dans la course. Je vous passe le relais.
Départ 16 heures, sous les dorures de l’Odéon. Le guetteur Olivier Py, en haut de son perchoir, sommet d’une imposante structure métallique, annonce le départ : la parole est lancée. La flamme annonciatrice de la prise de Troie s’est propagée jusqu’à Argos, elle y met le feu. Clytemnestre prend le flambeau et fait le récit du parcours de la flamme, image des mots qui brûlent, de la parole qui se répand comme un feu. Raconter, s’expliquer, c’est passer du sacrifice oraculaire à la justice humaine, du message divin au débat argumenté. Verbaliser l’indicible, en somme. L’Orestie d’Olivier Py met en scène cette grande « épopée de la parole ».
Agamemnon a sacrifié sa fille Iphigénie pour permettre à la flotte grecque d’embarquer pour Troie. Vainqueur, il est, à son retour, lui-même assassiné par sa femme adultère, Clytemnestre. Un meurtre pour purger, dit-elle, celui de sa fille et les crimes d’Atrée, père d’Agamemnon. Égisthe, son amant et complice, fils rescapé de Thyeste (qui a mangé ses enfants, cuisinés par son frère Atrée !), régnera sur Argos. La scène, déjà, est encombrée. La grande et laide architecture en tôle ondulée, d’abord close, cubique et cohérente, s’est désarticulée. Le chaos règne : une cuisinière au milieu de la scène où mijotent les restes des enfants de Thyeste, un haut-parleur rouge siglé T.N.O. abandonné dans un coin, une déesse, pardon, une D.S. ! – modèle déposé tout droit débarqué des usines du quai Javel – échouée côté cour, un drap pourpre souillé, une Cassandre pouilleuse, un mort et quelques litres de sang versés sur une scène glissante, mouillée par une pluie fine mêlée à la terre des sépultures.
Les comédiens sont à bout de souffle. Nous aussi tant l’interprétation, un brin lancinante, fatigue par son emphase. Clytemnestre (Nada Strancar) a définitivement opté pour le style déclamatoire braillard, le Coryphée (Miloud Khetib) et Agamemnon (Philippe Girard) jouent toutes les cordes du pathétique. L’harmonie confine au ronron prosodique. « Tout ce cérémonial ne peut que m’ennuyer », lance le roi d’Argos. Rires dans la salle… Fin d’un premier épisode un peu long. Entracte. On respire bien profondément et on repart.
Oreste, fils d’Agamemnon, revient sur la tombe de son père et promet de le venger en tuant sa mère, Clytemnestre, ainsi qu’Égisthe l’usurpateur du trône. Deux morts de plus au compteur, et quelques litres de sang aussi (mesure officielle : le seau). Les Érinyes, vengeresses du matricide, se déchaînent et traquent Oreste, qui prend la fuite. Le décor, après de nombreuses transformations, a pris la forme d’un théâtre. Le plateau est nettoyé et l’ordre revenu, grâce à Oreste. Des comédiens se révèlent plus convaincants car plus nuancés, Égisthe (Michel Fau) notamment ou l’héroïque Oreste. Fin du deuxième épisode, plus resserré, mieux contenu. Le jeu gagne en intensité et le décor en perspective, les débordements du premier épisode s’expliquent (un peu). Pause-repas (trop longue). L’Odéon fait sonner les trompettes : troisième épisode, les Euménides.
Sous la protection d’Apollon, Oreste gagne Athènes, où la déesse de la ville refuse de juger de sa culpabilité. Un tribunal humain est dressé, les dieux sont invités à plaider. Oreste est acquitté après délibération. Les Érinyes, en furie, il va sans dire, sont apaisées par Athéna qui leur offre une reconversion : le titre d’Euménides et la protection d’Athènes à condition qu’y règne la justice. Fin. Le décor est devenu « ecclésia ». Deux oliviers tombent des cintres… La parole a trouvé son lieu, la justice est rétablie. C’est la concorde à l’Odéon.
Clameur ? Applaudissements ? « Cris de joie » ? Pas vraiment. La qualité de l’adaptation forte d’une logique limpide et d’une interprétation véritable, une traduction, moderne mais élégante ainsi qu’un accompagnement musical plutôt judicieux (chœur chanté en grec et quatuor à cordes), font, certes, de l’Orestie une tragédie « sans âge » et toujours actuelle en ce sens. Mais l’uniformité d’un jeu trop caricatural, les quelques lourdeurs de la mise en scène et le manque de profondeur pour un décor qui, inadapté à la petitesse de la salle, encombre le plateau et rend les manipulations difficiles, modèrent notre enthousiasme. La belle tragédie prend malheureusement, parfois, des allures de parodie.
Deux conseils pour conclure : si vous y allez, ayez de bonnes places pour apprécier le décor (les bonnes places commencent après le dixième rang, semble-t-il, et de face) ; voyez l’intégrale (la mise en scène d’un épisode n’a de sens que par rapport aux deux autres). Prenez une gourde de café, aussi, et de bons cothurnes, le marathon dure quatre heures et demie. ¶
Cédric Enjalbert
l’Orestie, d’Eschyle
Texte français et mise en scène : Olivier Py
Avec : Anne Benoit, Nazim Boudjenah, Bénédicte Cerutti, Céline Chéenne, Michel Fau, Philippe Girard, Frédéric Giroutru, Miloud Khetib, Olivier Py, Bruno Sermonne, Alexandra Scicluna, Nada Strancar, Damien Bigourdan, Christophe Le Hazif, Mary Saint-Palais, Sandrine Sutter et le Quatuor Léonis
Scénographie : Philippe Marioge
Décor, costumes, maquillages : Pierre‑André Weitz
Musique : Stéphane Leach
Lumière : Olivier Py, avec Bertrand Killy
Son : Thierry Jousse
Accessoires : Fabienne Killy
Photo : © Alain Fonteray
Odéon-Théâtre de l’Europe • place de l’Odéon • 75006 Paris
Réservations : 01 44 85 40 40
Du 15 mai au 21 juin 2008
Spectacle en deux parties
Agamemnon les mardi et jeudi à 20 heures
Durée : 1 h 50
les Choéphores et les Euménides les mercredi et vendredi à 20 heures
Durée : 1 h 25 | entracte : 30 min | 1 h 15
Intégrale les samedi et dimanche à 16 heures
Durée : 1 h 50 | entracte : 30 min | 1 h 25 | pause 1 h 15 | 1 h 15
40 € | 30 € | 16 € | 10 €