Au royaume des insectes
Par Léna Martinelli
Les Trois Coups
Le Mouffetard accueille le Théâtre La Licorne et ces « Petits polars » qui constituent une réelle immersion dans l’univers visuel et rocambolesque de la compagnie. Satire de la perfidie ordinaire, « Macbêtes » est une véritable pépite.
Claire Dancoisne aime les histoires imprégnées de suspens, d’horreur et surtout d’humour noir. Car il s’agit bien de cela, dans Sweet Home et Macbêtes : montrer des personnages hors du commun, prêts à tout, y compris les pires exactions, pour arriver à leurs fins.
Tragique et dérisoire, l’histoire de ce couple démoniaque : un général et sa femme avides de pouvoir. Pour composer les tyrans de Macbêtes, la metteuse en scène explique avoir utilisé la figure des Ceaușescu. Mais on pense aussi au Père et à la Mère Ubu, directement inspirés de la pièce de Shakespeare, décidément intemporelle.
Là, Macbêtes, pareil à un bourdon mégalo, et Lady M., telle une guêpe cruelle, règnent sur un peuple d’insectes grouillants. Les mandibules s’agitent, les ailes crissent. Sourde menace, mais bientôt les carapaces s’entrechoquent. Rien de plus efficace que de dévorer tout cru ces comploteurs et traîtres de viles espèces ! Le festin des rois…
Le dispositif scénique est très simple, sans artifice. La mise en scène est réduite au strict minimum, et le petit nombre de comédiens instaure une proximité physique avec le public qui favorise l’intimité et la rencontre. Mais tout est extrêmement soigné : l’adaptation, la musique, les éclairages, les objets, les costumes, les maquillages, les accessoires, les déplacements, l’interprétation.
Dense, palpitant et jubilatoire
Pour incarner ces invertébrés, Rita Tchenko et Maxence Vandevelde puisent dans les ressources de l’acteur et du marionnettiste. Leur jeu est très physique, la gestuelle appuyée, tandis que la manipulation se fait précise. Leurs mains sont comme des griffes de rapace, leur regard est d’acier et leur bouche noire dessine un rictus de plaisir quand ils écrabouillent leurs pauvres victimes. Grimés derrière leurs masques, ils sont terrifiants.
À leur merci, vers de terre, scarabées et coléoptères ne font pas long feu. Pas même l’armée métallique, exterminée à l’insecticide ! Face à ce couple bestial, ce sont les bestioles qui paraissent humaines. Autant de chefs-d’œuvre bricolés avec génie, dotés d’imperceptibles engrenages et de détails croustillants. On est ébahi par tous ces éléments qui fourmillent sur la scène. Quel magnifique hommage à la force évocatrice du théâtre d’objets !
Depuis vingt‑huit ans, déjà, spectacle après spectacle, Claire Dancoisne crée en effet un univers bien à elle, rugueux et vivace, baroque en diable. La poésie jaillit de l’alliance entre le masque, le costume à accessoires, les objets articulés et un jeu gestuel qui parle davantage que le texte. Dans le monde de La Licorne, la matière est reine : qu’elle soit ferraille, papier ou tissu, elle apporte une présence brute et dense. Une fantaisie née de l’artisanat de la bidouille, et c’est remarquable. En parallèle de la programmation des pièces, le Mouffetard propose une petite exposition (la Licorne en liberté) qui donne un aperçu de ces œuvres uniques.
Créé en 1997, Macbêtes a déjà beaucoup tourné. Ce chef-d’œuvre a été joué plus de 650 fois. Un classique de la marionnette contemporaine qu’on espère bien voir à l’affiche de nombreux théâtres pour encore très longtemps. ¶
Léna Martinelli
Macbêtes, les nuits tragiques, d’Arthur Lefebvre, d’après « Macbeth » de Shakespeare
Théâtre La Licorne
Site : http://www.theatre-lalicorne.fr
Mise en scène et scénographie : Claire Dancoisne
Avec : Rita Tchenko, Maxence Vandevelde et des insectes pour partenaires
Création des objets : Patrick Smith, avec l’aide d’Olivier Sion
Création costumes : Catherine Lefebvre
Couture : Anne Bothuon
Musique originale : Maxence Vandevelde
Photo : © Christophe Loiseau
Le Mouffetard • 73, rue Mouffetard • 75005 Paris
Réservations : 01 84 79 44 44
Site du théâtre : http://www.theatredelamarionnette.com/
Du 21 février au 5 mars 2017, samedi à 20 h 45, dimanche à 18 h 45
Durée : 55 min
De 12 € à 18 €
Tournée
- Du 10 au 12 mars 2017, au Channel à Calais (62)
- Le 1er avril 2017, à Montreuil (62)
- Du 19 au 21 avril 2017, au Mémorial de Rivesaltes (66)
- Du 11 au 13 mai 2017, à la Rose des vents à Villeneuve-d’Ascq (59)
- Le 28 mai 2017, à l’É.P.C.C. Spectacle vivant audomarois, Saint‑Omer (62)
Teaser : https://vimeo.com/191969635