Déçue d’être déçue
Par Claire Stavaux
Les Trois Coups
En juillet 2008, même Théâtre du Chien‑qui‑Fume, mêmes comédiennes, même créneau horaire, la compagnie Premier acte présentait « Erendira ». J’en ressortais ravie, toute tremblante, touchée au plus profond. Un coup décoché en plein cœur. Une émotion qui ne s’est étrangement pas évaporée depuis. Comme un sortilège jeté par une bohémienne. Cette année, toute vibrante d’impatience, je me précipite au Chien qui fume, où j’attends l’apothéose. Tout est là, en attente d’assouvissement…
La compagnie Premier acte a créé une forme de théâtre originel. Un théâtre qui convoque tous les sens, un théâtre total, unique, incantatoire et onirique, grandiose sans être grandiloquent. Un théâtre poussé jusqu’aux confins de l’imaginaire, qui montre l’ici et surtout l’ailleurs. Un théâtre qui invoque l’univers de songe et de fumée de Márquez, le poète des hommes-oiseaux et des autruches domestiques, des senteurs marines et des vengeances sublimes, des vents de malheur et des générations maudites, vouées à une solitude éternelle.
Dans Macondo, du nom du village fabuleux de Cent ans de solitude, deux bohémiennes au plumage bigarré surgissent sur une vieille barque à la dérive. Au milieu d’une brume épaisse et des vents impétueux du désert, elles relatent les histoires du Vieil homme avec des ailes immenses et d’Estéban, le Noyé le plus beau du monde, puis esquissent à grands traits l’Incroyable et Triste Histoire d’Erendira et de sa grand‑mère diabolique. À mi-chemin entre la malédiction et le récit légendaire, Catherine Vial et Déborah Lamy font surgir des mondes imaginaires, dressent de nouveaux décors d’une traînée de poudre. Deux magiciennes du verbe, aux imperceptibles inflexions de voix, des voix caverneuses et riantes, aux gestes alourdis de breloques et de fatalité. Tout dans la mise en scène orchestrée par Sarkis Tcheumlekdjian participe au merveilleux : les splendides costumes créés par Marie‑Pierre Morel‑Lab, les effets sonores imaginés par Bertrand Neyret avec la musique originale de Gilbert Gandil, ou encore les lumières d’Antonin Liège. On aimerait citer tous les artisans de ce fabuleux ouvrage qui révèle les images visuelles et musicales des textes de Márquez.
Mais cette fois-ci pas de sortilège, ni de philtre magique. Le charme mystérieux des bohémiennes n’opère‑t‑il plus ? L’incroyable Magali Albespy exécute les mêmes pas de danse, mais c’est une Erendira grièvement amputée qu’on nous montre. Elle a tout l’air d’une jeune première qui attend son entrée en scène, livrée à tous les vents. En fin de spectacle, les pauvres minutes qui lui sont octroyées présentent une sorte de bande-annonce du spectacle de la saison prochaine… ou plutôt dernière… et prochaine sans doute ! Le temps est lancé à rebours. Certes les deux spectacles peuvent être vus l’un à la suite de l’autre, mais dans le bon sens ! Quant à la justification du lien entre les deux parties du diptyque par l’interférence du rêve et de la réalité, du passé et du présent dans les récits des deux conteuses, je la trouve facile et plutôt décevante. Je ne comprends pas la démarche artistique qui consiste à revenir à Avignon avec un ancien spectacle, dont la fin présente une sorte de travail préparatoire, une annonce de la saison à venir… Coup de pub ? Relance du fameux diptyque ? La compagnie a pourtant créé d’autres spectacles depuis, qui pourraient profiter du vent du succès qui souffle sur Erendira…
Impression de déjà‑vu. Frustration. Tout spectateur est une mémoire vivante ! Au théâtre, chacun arrive avec son baluchon de souvenirs, de rêves et d’envies. « La vie n’est pas ce que l’on a vécu, mais ce dont on se souvient et comment on s’en souvient. » C’est la compagnie elle-même qui a choisi cette citation de Márquez pour la projeter sur un écran à l’issue des deux représentations. Et nos souvenirs de spectateur alors ? Vous en faites quoi ? Vous les jetez au vent ? Je ressors de cette salle frustrée, piégée par mes propres attentes. J’ai versé pour l’occasion trois larmes de tristesse. Déçue d’être déçue ! ¶
Claire Stavaux
Macondo, de Gabriel García Márquez
Cie Premier acte • 18, rue Jules‑Vallès • 69100 Villeurbanne
04 78 24 13 27
Adaptation et mise en scène : Sarkis Tcheumlekdjian
Avec : Magali Albespy, Déborah Lamy, Catherine Vial
Scénographie : Azad Goujouni
Musique originale : Gilbert Gandi
Costumes : Marie‑Pierre Morel‑Lab
Maquillage : Christelle Paillard
Images : David Anémian
Lumières : Antonin Liège
Son : Bertrand Neyret
Vidéo : Catherine Demeure
Régie générale : Stephen Vernay
Diffusion : Caroline Pellerin
Théâtre du Chien‑qui‑Fume • 75, rue des Teinturiers • 84000 Avignon
Réservations : 04 90 85 25 87
Du 8 au 31 juillet 2009 à 11 heures
Durée : 1 heure
17 € | 12 €