« Magec / The Desert », Radouan Mriziga, critique, Cloître des Célestins, Festival d’Avignon 2025

magec-the-desert © christophe-raynaud-de-lage

Corps est âme (du désert)

Laura Plas
Les Trois Coups

Envoûtant comme une éclipse, un mirage ou un film de Tarkovski, « Magec / The Desert » de Radouan Mriziga parvient à faire résonner le désert en chaque spectateur. Lumière, rythmes, mots et musique y élèvent en symbiose la danse au rang d’exercice spirituel.

Dans l’Alchimiste de Paolo Coelo, un jeune berger fait une expérience ultime. Pour comprendre le monde, ses échos infinis, il devra non seulement connaître concrètement le désert mais le devenir. C’est à cela que l’on a d’abord songé dans ce lieu de foi qu’est le cloître des Célestins. C’est cela qu’on a éprouvé en voyant s’y déployer la nouvelle création chorégraphique de Radouan Mriziga, à tout ce que le désert murmure à nos imaginaires : épreuve et chemin de spiritualité.

Et, de fait, dans Magec, quelque chose nous dépasse. Il ne s’agit pas seulement d’exotisme, de désorientation face à des alphabets étranges, des masques et ou des mélopées venues de la culture amazighe. Nous avons avant tout conscience de ne saisir que des bribes d’un enchevêtrement cosmique de relations entre les vivants, entre ces êtres et les lieux qu’ils peuplent, entre la terre et d’autres mondes, peut-être, aussi…

La sphère comme métaphore

D’ailleurs, un disque étrange (magnifique et unique élément de scénographie), s’élève au dessus-de nous. Il nous fait rêver à d’autres mondes, nous ressouvenir peut-être de Stalker ? Et si on n’est peut-être pas totalement convaincu par les films qui défilent sur sa surface de projection, du moins ces derniers rappellent-ils la violence exercée sur le désert, notamment les essais nucléaires réalisés par la France. Et puis cet astre changeant nous force à élever le regard. Il évoque encore la forme des tambours que battent à un moment à la chamade les danseurs. Disque solaire, cadran du temps, tambour tendu des peaux de bêtes qui peuplent le désert et que revêtent les danseurs. En définitive, il est ce trou noir où peut se déployer notre imaginaire. D’autant qu’en sa surface, comme dans le ciel, courent les apparitions fugaces : visions post-apocalyptiques, cauchemars et rêveries.

Or, la labilité si frémissante, si vivante de sa surface, est à l’image d’une chorégraphie faite de glissements et marquée par une fluidité remarquable. En effet, l’équipe a fait l’expérience du désert où tout est mouvement. D’où, d’ailleurs, une façon de danser inédite. Mais Radouan Mriziga saisit également l’esprit d’un autre lieu : celui de la représentation. Car la minéralité de la pierre des Célestins magnifie le travail pictural de la lumière et offre au chorégraphe l’occasion d’organiser épiphanies et évanescences.

Dans ses hauteurs, la musicienne Denaa Abdelwahed semble, quant à elle, orchestrer le ballet des mortels, telle une déesse zoomorphe. La symbiose entre le spectacle et le lieu devient si évidente qu’on se demande comment celui-ci pourrait être représenté ailleurs, dans la boîte noire d’une salle de spectacle.

Le poème d’un monde

En définitive, les figures humaines ne sont ici que les éléments d’un spectacle qui les font entrer en interaction avec le lieu, la lumière et la musique : belle leçon de modestie. Les danseurs maîtrisent à ce point leur art qu’ils deviennent bêtes et plantes du désert. Les mouvements collectifs entraînants alternent ainsi avec des soli où le rythme s’alanguit, puis en adopte d’autres, plus difficiles à cerner certes, mais envoûtants, lancinants… comme un poème. Là tout n’est que mouvement, échos et beauté.

Laura Plas


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