Politicomique de choc
Par Élisabeth Hennebert
Les Trois Coups
Un chroniqueur de France Inter entre dans l’isoloir comme dans une cabine pour essayer les présidentiables de la collection de prêt-à‑porter printemps 2017 : hilarité garantie !
Précisons d’emblée que je partage, au plus, 2 % des convictions politiques de Frédérick Sigrist. Cette absence d’atomes crochus naturels m’autorise donc à un enthousiasme sans limites sur la forme irrésistible qu’il adopte pour défendre des idées qui m’exaspèrent sur le fond.
C’est la forme physique d’abord de ce grand gars qui provoque l’empathie. Sa silhouette à la M. Hulot, dans le genre du gentil géant un tout petit peu à côté de ses pompes, fait qu’on a spontanément envie de lui indiquer son chemin ou de lui passer du feu.
La forme du discours ensuite est habilement construite autour de quelques tranches de vie susceptibles d’être des points de connivence avec le spectateur, toutes opinions confondues. Quiconque a déjà emprunté le R.E.R. C pour un autre motif que d’aller aux fraises ne manquera pas de se tordre à l’énoncé des tribulations de l’usager de cette ligne, connue des Franciliens pour ses performances record.
Chez Cicéron, ces techniques s’appelaient la captatio benevolentiae (recherche de bienveillance), obtenue, en exorde d’un texte, par l’évocation d’un « lieu commun rassembleur ». Car sous des apparences de glandeur sympathique, notre homme est un excellent tribun de la plèbe, très cultivé et maître en art oratoire comme pas un. D’où sans doute sa diatribe plutôt inattendue contre la réforme du collège (cette fois-ci, c’est l’antiphrase que le rhéteur manipule à plaisir : « À quoi bon apprendre la langue de Socrate à des mômes pour qui le grec est un sandwich ? »).
« Si la gauche était un poulet, les socialistes seraient des nuggets ».
Venons‑en au fond qui est tout simplement passionnant. Comme une cohorte de chansonniers avant lui, ce chroniqueur de la radio nationale a compris combien le rire était un agitateur de neurones plus puissant que les soporifiques argumentations théoriques. Qu’on pense comme lui ou non (et le public est, somme toute, assez mélangé), on est bien obligé de se bousculer soi‑même, de questionner ses propres certitudes, de revenir sur des acquis quand on rigole, jusqu’à la crampe de mâchoire, de tous les partis, de l’arrière-garde de gauche aux ailiers de droite en passant par l’avant-centre et les dernières extrémités. L’électeur de droite est magnifiquement brocardé comme l’homme de deux phrases mantras : « Je me suis fait tout seul » et « J’ai beaucoup travaillé pour en arriver là ». L’homme de gauche est ridicule de mauvaise conscience baveuse et inhibante. Les politiciens de tous bords passent aussi à la Moulinette du mime (quel talentueux imitateur que Frédérick Sigrist).
Les seuls moments où l’on cesse de réfléchir sont ceux où l’on cesse de plaisanter. Ce personnage doté d’une vis comica indiscutable ne devrait jamais essayer d’être sérieux, car il ne convainc plus du tout, et la salle se divise instantanément en deux clans, ceux qui chuchotent : « Ah oui ! Comme il a raison ! » et ceux qui se rencognent dans leur fauteuil, énervés. On est revenu au point mort. Au moment où l’ambiance préélectorale est si enthousiasmante qu’elle donne aux urnes un air funéraire (quelles idées enterrerons-nous avec notre bulletin ?), faire rire comme sait le faire cet histrion déchaîné est la plus puissante des thérapies contre l’abstentionnisme àquoiboniste. J’ai oublié à peu près tous les égarements du comédien du côté du sérieux, pour lequel il n’est pas très doué. Je ne suis pas près d’arrêter de méditer sur les quelques claques à coups de fous rires qu’il a mis dans toutes les têtes de liste, à commencer par ma liste favorite. ¶
Élisabeth Hennebert
Manuel de survie dans l’isoloir, de et par Frédérick Sigrist
Mise en scène : Julien Héteau et Sandra Everro
Photo : © Fabienne Rappeneau
Le Funambule-Montmartre • 53, rue des Saules • 75018 Paris
Métro : Lamarck-Caulaincourt (ligne 12)
http://www.funambule-montmartre.com/
Jusqu’au 29 janvier 2017, du mercredi au samedi à 21 heures, le dimanche à 17 h 30, relâche les 9, 24, 25 décembre et les 1er, 21 et 28 janvier
Réservations : 01 42 23 88 83
Tarifs : 29 €, 19 €, 12 € et 11 €
Durée : 1 h 15