« Mauvaise petite fille blonde », Pierre Notte, Studio Hébertot, Paris

Mauvaise-petite-fille-blonde-Antonio-Interlandi © Philippe-Hanula

« Elle est où la justice ? »

Par Florence Douroux
Les Trois Coups

C’est une course folle vers la compréhension de la vie, qui tourne mal. Trop seule au milieu des mystères, une petite fille s’enlise. « Mauvaise petite fille blonde », est un récit signé et mis en scène par Pierre Notte, merveilleusement interprété par Antonio Interlandi au Studio Hébertot : un spectacle aussi burlesque que corrosif.

Signé par Pierre Notte de sa belle plume acérée volontiers trempée dans l’humour, voici un récit qui ne s’essouffle jamais, même lancé au triple galop du début à la fin. « Je ne l’ai pas exprès / J’aurais fait exprès je le dirais / je le dirais que j’ai fait exprès mais là je n’ai pas exprès / non je n’ai pas fait exprès / je ne suis pas une méchante fille / on m’accuse toujours moi de toute façon / c’est toujours comme ça de toute façon / moi j’ai rien fait / moi j’en ai marre / on m’accuse tout le temps / j’ai rien fait non j’ai rien fait / oui c’est moi qui l’ai fait mais j’ai pas fait exprès / je l’ai pas fait exprès et on m’accuse comme si je l’avais fait exprès »…

Scalper Safira

Pour avoir shooté dans la coupelle d’une SDF, une petite fille qui avait la tête dans les nuages se fait réprimander. Une injustice puisqu’elle ne l’a pas fait exprès. C’est le point de départ de ce monologue bouillonnant, dans lequel une petite fille en quête de sens, s’embourbe dans sa propre rage à force de ne rien comprendre : pourquoi est-elle grondée sans raison, pourquoi papa est-il à côté de la plaque, la maîtresse attachée à ses chouchous, le petit frère si agaçant avec sa respiration bruyante ? Pourquoi rater l’école un mardi ? Son univers n’est qu’un vaste malentendu et la réalité, jalonnée de pourquoi, forcément tordue.

Cette gamine est maline et maligne. Sa pensée vive tranche chaque interrogation d’un coup ferme. Ainsi résout-elle toutes ces incohérences qui l’énervent. Enfermée dans son raisonnement qui fait comme il peut, la petite cavale dans son labyrinthe. Elle s’engouffre dans chaque sinuosité, s’arrange avec sa vérité et tricote ses réponses, ses raccourcis, ses jugements, ses idées qui ne sont pas toutes faites, mais élaborées avec les moyens du bord.

Un récit incisif tranchant comme la lame. Et grave. Car la vision du monde à travers le prisme enfantin n’a pas la douceur espérée. La colère monte, les pensées partent dangereusement à la dérive. La petite s’engage, explique Pierre Notte, dans une « sorte de terreur ». À qui la faute ? Il n’y a pas à chercher bien loin. Couper les cheveux sales de Safira la Syrienne est justice puisqu’elle est la préférée de Ben. Et puisque papa l’a bien dit à sa petite blonde : « Ma petite Louloute tu es un petit peu la France à toi toute seule ». « Moi je dis d’accord », tranche-t-elle. Décidément non, pas de « soleil radieux, ni champ de blé irisé, ni chaton rigolo, ni parterre de roses », dans cette petite tête-là, comme c’est écrit dans la préface du récit.

Une « petite fille attitude » impressionnante

Le rôle était écrit pour Catherine Hiegel, désireuse d’incarner une petite fille, avant que les aléas de la pandémie ne changent l’histoire. Voici donc, brun, torse nu, tutu rose et converses rouges, Antonio Interlandi, comédien, chanteur et danseur brésilien. Une première collaboration avec Pierre Notte, pour ce danseur formé à Chaillot puis à Monaco, dirigé à moult reprises par Alfredo Arias. Superbe performance, autant le dire tout de suite. Déroutante de prime abord, cette incarnation étonnante s’avère pourtant d’une grande pertinence. Sans doute parce que le comédien ne cherche pas à ressembler à une petite fille, mais à l’être, sans habiller son jeu des mille mimiques possibles. Pierre Notte l’a dirigé autrement. Pas d’imitation, donc. Antonio Interlandi ne perche pas sa voix, ne minaude pas, ne gigote pas, bref aucune gestuelle enfantine : le registre est ailleurs, bien plus intéressant.

Le corps est quasi statique, hormis les bras ébauchant des arabesques, lesquelles restent figées à mi-parcours. Des postures longuement tenues, évoquant le carcan dans lequel, coincée, la fillette se débat toute seule. Immobilité un peu statuesque à l’exact opposé de l’excitation d’une gamine survoltée. Comme c’est malin ! La « petite fille attitude », c’est l’incroyable diction du comédien qui nous la montre, ses accélérations fébriles, son débit de torrent un peu haché, bousculé, ses très légères pauses dans une démonstration volubile : on perçoit l’enfant, on l’entend, on la voit, qui veut nous prouver qu’elle a bien raison.

Quelques pas de danse effectués dans des intermèdes bleutés, sortes d’échappées légères, de décontraction dans la tension corporelle et mentale, dessinent d’une très jolie manière les brèves évasions de cette pensée enfantine. Hormis ces furtifs répits, le comédien fait débouler les mots d’un récit sans ponctuation avec une franche délectation. Il ne joint pas le geste à la parole et n’illustre pas ses propos. Cette facilité n’est pas convoquée non plus. Mais son regard ne nous lâche pas un instant, nous scrutant pour voir si le message a bien porté, si on a bien compris. Comme le ferait une enfant manipulatrice qui nous veut dans son camp. Avec les mains, parfois, il semble nous prendre à témoin et nous dire : « Voyez comme je suis innocente ». Nous le croirions presque, tant il est convainquant et attachant, malgré l’acidité féroce du texte. Quelle interprétation !

Drôle de mioche et drôles d’adultes, la petite musique Notte / Interlandi nous trotte longtemps dans la tête. 🔴

Florence Douroux


Mauvaise petite fille blonde, de Pierre Notte

Le texte est édité à L’Avant-Scène Théâtre
Texte et mise en scène : Pierre Notte
Avec : Antonio Interlandi
Costume : Alain Blanchot
Lumières : Antonio de Carvalho
Durée : 1 h 10

Studio Hébertot • 78 bis, bd des Batignolles • 75017 Paris
Du 17 novembre 2022 au 28 janvier 2023, les jeudi, vendredi et samedi, à 19 heures
De 10 € à 28 €
Réservations : 01 42 93 13 04 ou en ligne

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