Généalogie d’un crime
Par Bénédicte Fantin
Les Trois Coups
Le texte de Dorothée Zumstein théâtralise un fait-divers pour en faire une tragédie aux accents d’enquête sociologique.
« Un dieu rôde derrière le fait-divers » écrivait Barthes dans Structure du fait-divers (Essais critiques). Le dieu qui rôde derrière la tragédie qui nous est contée dans Mayday prend les traits du déterminisme social. Nourrie par le livre d’entretiens de la journaliste Gitta Sereny (Une si jolie petite fille : les crimes de Mary Bell), l’auteur Dorothée Zumstein revient sur le parcours hors norme de Mary Bell. Surnommée May, la fillette de 11 ans tue deux petits garçons dans la banlieue de Newcastle à la fin des années 1960.
On retrouve sur scène la délinquante vingt ans après sa sortie de prison, sous une nouvelle identité qui lui permet d’échapper à l’avidité médiatique. May décide alors de se confier à un jeune journaliste pour tenter d’élucider la cause des actes criminels commis dans son enfance. S’ensuit une série de portraits féminins : May à 11 ans, sa mère Betty, et sa grand-mère. Les allers-retours temporels révèlent une histoire familiale faite de maltraitances et de non-dits douloureux dans une ville minière marginalisée.
Avec de tels ingrédients, difficile de ne pas sombrer dans le misérabilisme. La mise en scène de Julie Duclos évite cet écueil grâce à un habile jeu de collage. Il s’agit de reconstituer les fragments d’une vie, la généalogie d’une enfance criminelle. Installée dans son canapé, la Mary Bell adulte tricote tandis qu’une maison abandonnée située en fond de plateau semble envahir la tranquillité de son salon. Ce décor de ruines est le souvenir matérialisé du lieu où Mary a commis ses crimes.
À l’image de ce décor, la metteuse en scène n’a de cesse de nous faire voyager entre passé et présent pour mieux dire l’impossibilité pour Mary Bell de se délivrer de son histoire. Le dispositif vidéo, qui apparaît simultanément à la décision de Mary de se confier à un journaliste, permet de fluidifier les sauts dans le temps. Cependant, le recours à la vidéo n’est pas simplement indicatif d’un changement de période. La plupart des scènes projetées sont tournées en direct sur le plateau. En ressort une esthétique cinématographique qui met à distance la violence des évènements retracés.
Les quatre actrices sont également un rempart aux accusations de sensationnalisme. L’intériorité dont elles font preuve dans leur jeu nous fait oublier le terme générique de « fait-divers » pour nous ramener à l’histoire particulière de ces femmes. Le travail dirigé par Julie Duclos s’est beaucoup fondé sur des improvisations pour mieux nourrir les personnages et revenir au texte par la suite. Cette méthode donne une réelle densité aux personnages. Les comédiennes sont habitées par l’histoire respective de leur personnage et le public le ressent. Nul besoin de gros titres pour évoquer une tragédie. ¶
Bénédicte Fantin
Mayday, de Dorothée Zumstein
Le texte est édité chez Quartett
Mise en scène : Julie Duclos
Avec : Maëlia Gentil, Vanessa Larré, Marie Matheron, Alix Riemer, Biño Sauitzvy
Scénographie : Hélène Jourdan
Lumières : Mathilde Chamoux et Jérémie Papin
Musique : Krishna Levy
Chorégraphie : Biño Sauitzvy
Vidéo : Quentin Vigier
Son : Quentin Dumay
Costumes : Marie‑Cécile Viault
Assistanat à la mise en scène : Calypso Baquey
Régie plateau : Marie Bonnemaison et Paul Amiel
Régie son : Lauriane Rambault
Régie générale : Mathilde Chamoux
Peinture : Myrtille Pichon
Stagiaire décor : Juliette Terreaux
Photos : © Jean‑Louis Fernandez
Production : Laure Duqué
Théâtre national de la Colline • 15, rue Malte‑Brun • 75020 Paris
Réservations : 01 44 62 52 52
Site du théâtre : www.colline.fr
Métro : Gambetta
Du 23 février au 17 mars 2017, du mercredi au samedi à 20 h 30, mardi à 19 h 30 et dimanche à 15 h 30
Durée : 1 h 40
30 € | 15 € | 10 €