Une fable politique et une fable morale
Par Jean-François Picaut
Les Trois Coups
Nous réunissons ici arbitrairement deux pièces qui ont en commun d’être données dans le même théâtre et d’avoir été écrites par des auteurs arabes, afin de pouvoir parler de la première, donnée dans des conditions spéciales.
La pièce de la jeune et talentueuse Mériam Bousselmi (elle n’a pas encore vingt‑neuf ans et est également avocate pour gagner sa vie) a obtenu le prix Sheikh Dr Sultan bin Mohammed al‑Qasimi de la meilleure pièce de théâtre arabe (Sharjah-Émirats arabes unis) en 2011. Depuis, la pièce, écrite en dialecte tunisien, a été traduite et jouée en Allemagne. Elle devait être donnée à Avignon, en français, grâce à un partenariat entre le Théâtre national tunisien et l’association avignonnaise Tamam. (Théâtre des arts du monde arabe et de la Méditerranée). Hélas, la partie tunisienne, du fait des difficultés de la transition démocratique, n’a pu tenir ses engagements.
En l’absence des acteurs et techniciens tunisiens, ce qui est présenté à Avignon est donc une lecture mise en espace en français (sérieusement raccourcie), conçue et dirigée par l’auteur-metteur en scène elle-même, avec une équipe française prise en charge et mise à sa disposition par l’association Tamam. Les qualités du texte et de la mise en scène, telles qu’elles se devinent à travers ce travail, réalisé dans l’urgence et avec des moyens très limités, justifient que nous en parlions.
Mériam Bousselmi décortique les rapports entre un père et son fils
Mémoire en retraite met en scène le conflit entre un père atteint d’Alzheimer et son fils. Prenant prétexte de la maladie et des bouffées délirantes qu’elle occasionne, comme de la fixation sur les souvenirs anciens, Mériam Bousselmi décortique, dans cette fable, les rapports entre un père et son fils (un avocat prestigieux et un intellectuel marginalisé). Mais elle élargit son propos au lien d’oppression qui relie un peuple au dictateur qui le gouverne.
Ici, pas de récit linéaire mais des évocations, comme autant d’éclairs, qui naissent des images visuelles, des représentations mentales induites par la maladie et des souvenirs intacts. La langue de cette joute verbale est drue, directe et concrète. Les objets (réels ou fantasmatiques) se chargent de symboles et jouent un grand rôle dans l’action, les lumières sont travaillées et précises. Les acteurs, qui ont assumé les rôles dans l’urgence, s’en sortent avec un bonheur inégal, mais y mettent beaucoup de conviction.
Ce que cette lecture scénarisée nous a permis d’apprécier de la pièce et du travail de Mériam Bousselmi nous fait souhaiter de voir rapidement Mémoire en retraite présentée en version intégrale au public français.
Pacamambo de Wajdi Mouawad
Une nuit, alors que Julie dormait, avec son chien le Gros, chez sa grand‑mère adorée, Marie Marie, la mort a frappé ou plus exactement la Lune est venue chercher Marie Marie pour la conduire à Pacamambo. Julie, la grand‑mère et le chien vont alors disparaître pendant plusieurs semaines. Quand on les retrouve, Julie refuse de s’exprimer sur ce qui s’est passé. Une psychiatre va la convaincre de raconter son histoire.
Telle est la trame de ce conte ou de cette fable dans laquelle Wajdi Mouawad traite du sujet difficile qu’est la rencontre de la mort pour des enfants. Ici, la dure réalité est sublimée par l’humour et la poésie. La disparition de la grand‑mère et le vide qu’elle occasionne ne sont pas occultés, on évoque même la décomposition du corps et les odeurs qui l’accompagnent. Cependant, Julie nous raconte aussi ce pays merveilleux qu’est Pacamambo, le « pays de toutes les lumières où tous les hommes découvrent que les autres sont aussi des hommes ». Et puis, il y a aussi le chien, un chien qui parle parfois, dont les interventions viennent apporter une touche d’humour dans la pièce, remarquable composition de Jean‑Jacques Rouvière.
L’excellente Marion Duquenne
La pièce est centrée sur le personnage de Julie, interprété par l’excellente Marion Duquenne, parfaitement crédible dans son rôle de fillette. Sa fraîcheur, sa spontanéité, son jeu primesautier font merveille. On la suit volontiers dans cet univers où la Lune se transforme en ballon, où la mort apparaît en femme élégante, toute de noire vêtue dans son costume empoussiéré par la route, qui sort des os en vrac de son sac à main et délivre la morale de cette histoire : « Vivre, c’est accepter de mourir ».
Marie Provence a réalisé une mise en scène efficace où la vidéo, le son participent à la construction de l’histoire. Le rôle des objets y est particulièrement important. Ils contribuent à créer l’atmosphère onirique voulue par Mouawad. Le lit devient un ascenseur puis une cave. La valise aussi est polyvalente, comme le manteau et le drap. Ainsi, par les yeux de l’enfant, sommes‑nous amenés à regarder le réel d’un autre œil et affronter l’inacceptable. Pour autant, il ne nous semble pas souhaitable de faire la voir la pièce à des enfants trop jeunes : les symboles leur échapperaient sans doute, et d’autres réalités pourraient heurter leur sensibilité.
Cette réserve faite, il faut rendre hommage au texte fort et sensible de Wajdi Mouawad et à la façon dont Marie Provence et ses interprètes lui donnent vie. ¶
Jean-François Picaut
Mémoire en retraite, de Mériam Bousselmi
Une production Tamam
Contact : Aline Gemayel | +33/ (0) 6 50 12 01 35
L’Entrepôt (Théâtre du Gymnase) • 1 ter, boulevard de Champfleury • 84000 Avignon
Du 16 au 20 juillet 2012 à 21 h 30
Durée : 60 min
Pacamambo, de Wajdi Mouawad
Par les Cies Méninas et 7e Ciel
Texte paru chez Actes Sud Junior « Poche théâtre » (février 2007), 80 pages, coédition Théâtre de Sartrouville et des Yvelines
Mise en scène : Marie Provence
Avec : Marion Duquenne, Jean‑Jacques Rouvière, Francesca Giuliano, Sophie Lacoste ou Sonia Pintor
Scénographie : Francesca Giuliano
Photo : © Vincent Lucas et levillagedesfacteursdimages.org
Même lieu
Du 7 au 28 juillet 2012 à 15 h 25