« Menschel et Romanska », de Hanokh Levin, Théâtre de la Vieille‐Grille à Paris

« Menschel et Romanska » © D.R.

Levin : un peu d’humanité
dans l’eau froide

Par Sylvie Beurtheret
Les Trois Coups

Dans le velours cramoisi du petit Théâtre de la Vieille-Grille, le comédien Daniel Kenigsberg nous entraîne avec pétulance dans un quartier de Tel-Aviv. Sur la trace de deux affreux, sales et méchants petites gens englués, le temps d’un soir, dans une minable non-histoire d’amour. On se laisse prendre par la main. Et on découvre, tout ouï, l’affreux et ravissant conte philosophique de feu Hanokh Levin. Simple. Et grand comme la petitesse humaine.

Devenu café-théâtre dans les années soixante, la Vieille Grille baigne toujours dans son jus magique d’ancestrale épicerie-cave à vin : idoine écrin pour mettre en scène les pérégrinations de deux piètres héros qui, faute d’amour, partent au marché de Betzalel se goinfrer pour pas cher de dégoulinants falafels sentant l’huile et le pois chiche. À dire vrai, on se régale bien plus ici d’une performance d’acteur que d’une mise en scène « des plus simples », comme l’indique lui-même son auteur Olivier Balazuc.

Car Daniel Kenigsberg butine seul en scène. Petites lunettes rondes et chemise rayée jaune et noire à la Maya l’abeille, il fait son miel avec gourmandise de la plus levinienne nouvelle d’Hanokh Levin (1943-1999). Cette figure majeure du théâtre israélien contemporain nous a livré, à travers force pièces, poésies et textes en prose, une moisson singulière d’insignifiants personnages embourbés dans les médiocres vicissitudes de leur condition humaine. Comme ce Menschel, « petit homme » pou, célibataire et radin, et cette Romanska « caca » qui flatule, romantique mais laide à faire fuir les conquêtes. Ces deux-là, s’étant plu au téléphone, caressaient pourtant le fol espoir de dire adieu à leur solitude rance. Espoir écrabouillé dans l’œuf dès le premier regard : on n’échappe pas à son propre destin dans ce bas monde où le miracle n’existe pas. Alors, plutôt que de se marier et d’avoir beaucoup d’enfants, ces deux affreux jojos passent leur rendez-vous amoureux raté d’un samedi soir à se vomir à la face d’exécrables vilénies suintant leur haine de n’avoir pas trouvé en l’autre la rémission rêvée. Féroce et hilarant programme nous renvoyant à nos petites mesquineries et à notre besoin de consolation !

Conteur virtuose

Pas de chair ni d’os : Menschel et Romanska ne sont ici que deux noms inscrits au feutre noir sur deux cartons blancs trônant, façon conférence au sommet, sur un bureau derrière lequel s’est installé Daniel Kenigsberg. Mais, sous la fluide faconde de cet incroyable comédien, qu’ils sont vivants et attachants ces deux repoussants personnages à l’haleine de hareng et de haricot blanc ! Daniel Kenigsberg ? C’est Jamy Gourmaud dans « C’est pas sorcier », nous livrant une démonstration scientifique de la bassesse humaine. C’est Alain Decaux nous confessant avec flamme toutes ces petites histoires qui ont fait la grande. C’est le conteur virtuose des veillées d’antan, le papa poule qui exulte à narrer, au bord du lit de ses rejetons, un conte grouillant de monstres finalement charmants.

Et peu importe les bruits du dehors qui s’invitent dans ce lilliputien théâtre mal insonorisé ! On écoute, bouche bée, l’acteur nous donner si bien à voir cette farce cruelle et tendre, poétique et malodorante. Une comédie humaine qui, par-delà toutes ces petites bassesses nous empêchant de vivre et d’aimer, crie notre désir de s’inventer un destin tout neuf. Comme celui de ce bébé joufflu qui sourit à l’objectif, confiant dans l’avenir. « Mon vrai visage » dit Romanska en montrant sa tendre photo-souvenir. Qui pourrait être celle de Menschel, aussi. La nôtre. Celle des commencements pleins de promesses.

Peut-être certaines langues pointeront-elles un humour juif réservé aux initiés. Elles négligeraient la portée universelle de ce texte qui nous berce un court instant, dans ce monde devenu assez fou pour oublier l’homme et ses questions existentielles. Fais dodo Menschel mon petit frère, fais dodo Romanska ma petite sœur, t’auras ton falafel. 

Sylvie Beurtheret


Menschel et Romanska, de Hanokh Levin

Production : La Jolie Pourpoise

Production déléguée : Comédie de Caen-C.D.N. de Normandie

www.comediedecaen.com

Traduction : Laurence Sendrowicz

Adaptation pour la scène : Olivier Balazuc, Daniel Kenigsberg, Laurence Sendrowicz

Mise en scène : Olivier Balazuc

Avec : Daniel Kenigsberg

Photo : © D.R.

Théâtre de la Vieille-Grille • 1, rue du Puits-de-l’Ermite • 75005 Paris

Réservations : 01 47 07 22 11

Du 1er au 5 février 2010, du 11 au 13 février 2010, du 18 au 20 février 2010, à 21 heures

Les dimanches 7, 14 et 21 février 2010 à 17 h 30

Durée : 1 heure

18 € | 13 € | 10 €

À propos de l'auteur

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.

Du coup, vous aimerez aussi...

Pour en découvrir plus
Catégories