L’amour du plaisir
Par Michel Dieuaide
Les Trois Coups
Le troisième spectacle de la saison du Théâtre de la Croix-Rousse scelle les retrouvailles de Jean‑Paul Fouchécourt, ténor à l’exceptionnel parcours national et international, et de Jean Lacornerie, metteur en scène au goût aiguisé pour les formes décalées associant théâtre et musique. Au programme, un récital insolite mariant chant lyrique, jeu dramatique et magie.
Menu : plaisirs est le titre du spectacle. Un intitulé qui indique clairement l’accord des deux artistes pour manifester leur amour partagé du plaisir. S’organise donc sur scène pendant plus d’une heure une suite de romances tendres ou coquines, amères ou jouissives, qui dans un beau désordre volontaire, bousculant la chronologie de l’histoire de la musique, invite les spectateurs à s’immerger dans les délices et les frustrations de la passion amoureuse. Musicalement : Rameau, Mozart, Liszt, Offenbach, Fauré, Poulenc coudoient Bataille, Martini, Lambert, Marchetti, Guibert, Trenet et Dona. Textuellement : Du Ryer, des poètes anonymes du dix‑septième siècle, Le Valois d’Orville alternent avec Verlaine, Apollinaire, Fombeure, Lama et De Kock. Ils forment à eux tous le cocktail insolite inscrit à la carte de Menu : plaisirs.
La mise en théâtre en est sobre, ironique. Elle s’affiche comme un clin d’œil au music-hall. Sur le plateau flotte le parfum suranné de ce qu’on appelait autrefois au cinéma les attractions. Après les actualités et avant le film se présentait en avant-scène un acrobate, un chansonnier, un danseur ou un magicien venant donner en intermède un aperçu de son talent. Ici, une fois levé un rideau écru défraîchi, on découvre un piano à queue noir et derrière lui, les plis d’un grand éventail aux couleurs changeantes. Symbolique mâle du clavier… à queue et féminine de l’éventail… aux plis vulvaires. Si l’on ajoute par moments un haut tabouret d’entraîneuse de bar, le dispositif scénique choisi par Jean Lacornerie fournit à Jean‑Paul Fouchécourt les attributs essentiels pour exploiter malicieusement une anthologie de morceaux musicaux et poétiques au contenu titillant.
La magie en renfort
Balançant sans cesse entre assouvissement et insatisfaction, le récital décline une cascade de personnages. Qu’ils soient soliste lyrique en habit noir, travesti grotesque et sucré, Pierrot pathétique, marquis prétentieux ou chanteur de variétés, les figures présentées auront, selon les cas, à s’extasier d’érections triomphantes, à se désoler de pannes sexuelles, à s’exciter de seins ou de culs voluptueux, à se chagriner d’amantes mijaurées ou à s’endormir délicieusement d’un sommeil sans copulation. En dilettante passionné, Jean‑Paul Fouchécourt arpente avec jubilation une géographie des heurs et malheurs d’un érotisme qui s’enrichit du recours aux mystères de la magie. Surgissant ici et là par la grâce furtive et efficace du prestidigitateur Thierry Collet, elle pimente avec humour le propos. Quelques effets de transformisme, un mouchoir indomptable, une corde érectile, une robe volante… mais chut !
Et puis il ne faut pas oublier l’extraordinaire performance pianistique de Jamal Moqadem. Chacune de ses interprétations des mélodies rivalise de finesse et de subtilité. Son doigté incarne à merveille les couleurs et les nuances des univers musicaux. Il offre même en brillant instrumentiste qu’il est un superbe moment d’improvisation pour accompagner la projection d’un film court de Georges Méliès sur l’impossibilité du déshabillage. Quant à Jean‑Paul Fouchécourt, tour à tour désinvolte et fraternel, impertinent et fragile, il justifie pleinement qu’il est avant tout un comédien qui chante et non un chanteur qui joue. Se tenant à distance des effets appuyés du bel canto, il module délicatement sa traversée fluide d’un répertoire exigeant qu’il aime faire partager.
Indiscutablement, Jean Lacornerie et Jean‑Paul Fouchécourt se sont trouvés pour créer ce spectacle. Leur complicité régalera les nostalgiques de la romance, les émoustillés de la gaillardise et les fans du charme discret des formes théâtrales injustement oubliées. Toutefois, on peut regretter qu’ils aient opté pour le vaste plateau du Théâtre de la Croix-Rousse alors qu’ils disposent d’une salle plus petite. Menu : plaisirs avec sa dimension cabarétique, sa volonté de séduire et de provoquer en douceur, sa recherche justifiée de la participation du public aurait mérité un rapport scène-salle de plus grande intimité. L’alcôve n’est-elle pas plus propice qu’une chambre d’apparat aux ébats érotiques ? ¶
Michel Dieuaide
Menu : plaisirs, récital magique
Mise en scène : Jean Lacornerie
Chant : Jean‑Paul Fouchécourt
Piano : Jamal Moqadem
Magie : Thierry Collet
Costumes : Robin Chemin
Images : Étienne Guiol
Direction technique : Gilles Vernay
Lumières : Christophe Braconnier, Sandrine Chevallier, Joachim Richard
Régie générale et accessoires : Georges Keraghel
Régie son : Bertrand Maia
Régie plateau : Guy Catoire, Mathieu Hubert
Habilleuse : Anne Théodore
Photos : © D.R.
Production : Théâtre de la Croix-Rousse
Avec le soutien de la Ferme aux arts et du Nouveau Théâtre de Montreuil, centre dramatique national
Remerciements au C.N.C. pour son aimable participation
Théâtre de la Croix-Rousse • place Joannès-Ambre • 69004 Lyon
Tél. 04 72 07 49 49
Représentations : du 4 au 7 novembre 2014 à 20 heures et le 8 novembre à 19 h 30
Durée : 1 h 10
Tarifs : de 26 € à 5 €