« Mesure pour mesure », William Shakespeare, Lucile Lacaze, Théâtre des Clochards célestes, Lyon

Mesure-pour-mesure-Shakespeare- Lucile-Lacaze © Christophe-Vauthey

Un coup d’essai magistral

Par Trina Mounier
Les Trois Coups

Même si Lucile Lacaze, malgré son jeune âge, n’en est pas exactement à son coup d’essai, cette création de « Mesure pour mesure », de Shakespeare est une vraie réussite qui témoigne de la maturité de la metteure en scène. Adaptation et direction d’acteurs en sont les principaux atouts.

Avec quatre acteurs en tout, la pièce se déroule dans une Vienne imaginaire où règne une grande liberté de mœurs. Tout l’argument part d’un mensonge, en tout cas d’un secret, mais d’État : le duc, plutôt débonnaire, décide de laisser provisoirement la régence à Angelo, son ami dont il connaît la droiture et la sévérité. Ce dernier, d’une grande rigidité morale, commence par rétablir la peine de mort pour ceux qui se livrent à des amours extra-conjugales. Parallèlement il fait fermer les bordels, qui encouragent les pratiques diaboliques.

© Christophe Vauthey

Le premier gentilhomme à faire les frais de ce changement est Claudio, condamné à la peine capitale pour avoir engrossé sa fiancée. Parmi ceux qui se mobilisent pour obtenir sa grâce, Lucio joue le rôle traditionnel du fou qui se permet toutes les libertés, notamment de parole. C’est lui qui nous tient informés des intrigues de cour, lui aussi qui fait fuiter les bruits et, d’une manière générale, fait avancer l’action. C’est donc lui qui a l’idée d’aller chercher Isabella, novice chez les Clarisses, pour intercéder en faveur de son frère auprès du Régent. Lequel ne se laisse pas fléchir jusqu’à ce qu’il soit séduit par l’innocence et la passion de la jeune fille. Sa fermeté morale n’y résiste pas… les digues sont ouvertes. L’hypocrisie prend place. Bien entendu nombre de personnages, une douzaine, interviennent dans ces quiproquos, rebondissements et retournements de situation.

Une mise en abyme pleine de maturité de la perversion masculine

Lucile Lacaze a d’abord travaillé sur la belle traduction de Jean-Michel Desprats, puis n’a conservé que le cœur de l’histoire pour l’adapter à la petite taille du plateau des Clochards célestes et à quatre comédiens qui jouent l’essentiel des rôles. Cela donne un résultat très cohérent et très lisible. Très entraînant, aussi. Elle fait ressortir brillamment à la fois le poison qui s’insinue dans le cœur des hommes avec le désir, comment il s’accompagne de stratégies de pouvoir et de manœuvres hypocrites, mais aussi comment, élevées dans l’ignorance, corsetées dans l’impuissance, les femmes ont bien du mal à tirer leur épingle du jeu. Cette pauvre Isabella (interprétée avec finesse et beaucoup d’humour par Lucile Courtelin) se débat comme un beau diable pour se sortir des griffes des hommes, l’honneur intact, tandis que la prostituée Marianne (Lucile Courtelin aussi) sert les intérêts de tous, sans en obtenir le moindre remerciement.

© Christophe Vauthey

Loin d’un discours féministe trop appuyé, Lucile Lacaze choisit l’humour. Son Isabella roule des yeux ahuris devant toutes les propositions qu’on lui fait et la répétition de ces regards montre à la fois son désarroi et son impuissance. Elle accueille de la même manière les propositions du Régent et la demande en mariage du Duc : elle n’est pas consultée. Tous les comédiens sont magnifiques de sobriété et de justesse. Tous aptes à faire comprendre la complexité des pièges et des sentiments dans lesquels ils sont pris. Tous jouets d’une société qui fixe les règles de pouvoir. Aux côtés de Lucile Courtalin, Erwan Vinesse, Séraphin Rousseau et Andréas Chartier, subtil dans le rôle du Régent soumis aux affres du désir et de la culpabilité, sont les interprètes indispensables de cette adaptation très applaudie. 🔴

Trina Mounier


Mesure pour mesure, de William Shakespeare

Compagnie La grande panique
La compagnie s’est inspirée de la traduction de Jean-Michel Déprats aux éditions Gallimard, coll. Folio
Mise en scène : Lucile Lacaze
Collaboration artistique : Erwan Vinesse
Avec : Andréas Chartier, Lucile Courtelin, Séraphin Rousseau, Erwan Vinesse
Scénographie : Adèle Collé, Lucile Lacaze
Costumes : Audrina Groschene
Lumières : Nicolas Zajkowski
Son : Étienne Martinez, Erwann Vinesse
Durée : 1 h 40

Théâtre des Clochards célestes • 51, rue des Tables Claudiennes • 69001 Lyon
Du 20  au 25 septembre 2023, à 19 h 30, les samedi et dimanche à 16 h 30
De 6 € à 13 €
Réservation : en ligne ou 04 78 28 34 43

À propos de l'auteur

Une réponse

  1. D’accord avec tout, mais en particulier concernant le jeu des acteurs, finement dirigés. Ils portent leur rôle avec une grande sobriété et talent.

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