Lapins à suivre !
Par Laura Plas
Les Trois Coups
À Nexon (Haute-Vienne), les propositions circassiennes se multiplient au détour des bosquets. Nous vous offrons ici notre carte du tendre. Vous y serez guidés par d’étranges lapins vers deux spectacles empreints de fantaisie : « La Valse des Hommelettes » et « Les Princesses ».
Comme tout festival, La Route du Sirque décline une myriade de propositions qui rassemblent des esthétiques très diverses et engendrent des réceptions contrastées. Pour preuve, l’accueil enthousiaste réservé par le public à Instante, alors que le spectacle ne nous a pas conquis. Une séance supplémentaire a même été programmée ! Les spectateurs ont-ils simplement reconnu la maîtrise impressionnante de la roue Cyr, ou l’énergie déployée par Juan Ignacio Tula ? Éblouis par le travail sur la lumière stroboscopique, ont-il éprouvé un état de transe ? Sans doute. Et l’on ne peut, certes, nier ici la qualité de l’exécution.
De même, s’impose la qualité formelle de Météores, une variation élaborée par Mathilde Arsenault Von Volsem et Frédéric Arsenault autour d’une échelle. Pourtant, la réflexion sur les limites et les fragilités du corps est trop subtile pour certains esprits mal dégrossis (dont nous avons été). On aurait ainsi aimé que la musique s’arrête plus vite pour que le silence nous rapproche des interprètes. À ce moment-là, on a partagé leur connivence et perçu leur humour. Par ailleurs, Face à l’immense échelle qu’emploient les artistes, on a songé à Icare, Sisyphe, Jacob. Or cette dimension mythique, imaginaire, alors même qu’elle est indiquée dans la note d’intention, semble délaissée au profit d’une performance.
Moi pas princesse, eux pas gentils héros
Heureusement, deux spectacles font, eux, la part belle à l’imaginaire. Avec des esthétiques fortes, mais très différentes, ils s’aventurent dans les contrées luxuriantes du conte en proposant de vrais univers. Évoquons d’abord La Valse des Hommelettes de Patrick Sims qui remporte, haut la main, la palme du spectacle le plus décrié par les adultes. Inoubliable, la pièce se niche au fond de vous comme un coucou. Elle fait ainsi son nid avec des brins d’interrogation, des éclats d’émerveillement et des bris d’horizon d’attente. Vous veniez voir en famille un spectacle plein de jolies images et de bons sentiments. Les mots « conte » et « marionnettes » vous avaient confortés dans votre choix et vous aviez, de plus, découvert une scénographie digne de vos rêves : entre le chalet d’Hansel et Gretel et le jouet en bois rétro.
Pourtant, panique à bord : voilà que ce magnifique décor recèle des elfes maléfiques, un horrible coucou et autres surprises plus ou moins inquiétantes. Par ailleurs, la maison fait tic-tac comme une bombe prête à vous exploser à la figure ou comme ces horloges qui disent que la vie est à sens unique vers le tombeau. Tout passe et s’abolit ainsi dans cette mécanique qui occupe tout le plateau : le joujou se métamorphose en Vanité.
Quant aux manipulateurs animaux (les mignons lapins, la gentille maman oiseau), vous commencez à les trouver sacrément doués mais pas si naïfs que ça. Ne s’empêtrant jamais dans une manipulation qui associe pourtant le fil et la tige, ils osent brouiller vos codes, raviver les couleurs passées des obscurs contes de Grimm et vous entraîner dans une narration complexe.
Parents, écoutez vos enfants !
Un conseil, donc, pour apprécier comme il se doit cette étrange et intéressante proposition : prenez exemple sur les enfants. Ils sont en effet moins définitifs sur ce que doit être un spectacle jeune public, mais se laissent ébaudir par la beauté sombre de l’univers proposé. Sinon, le Cheptel Aleïkoum vous accueillera avec toute sa générosité et sa joie communicative. Et il vous faudra peut-être même résister à l’envie d’aller confier vos bambins aux artistes à la fin du spectacle.
Les Princesses est, en effet, une pièce de cirque enjouée qui fait passer une heure vingt en un instant. Elle associe l’humour à la musique pour proposer un excellent spectacle populaire où l’on n’a pas besoin d’élaborer une tortueuse théorie afin de se convaincre qu’on aime ce qu’on voit. Le collectif y propose, comme les Antliaclastes, une variation sur les contes. Mais ils sont plutôt évoqués par le biais de topoï (scènes phares, objets emblématiques, types de contes) qui sont malicieusement interrogés à la lueur du temps présent. C’est quoi une princesse aujourd’hui ? Doit-elle avoir vingt ans et les aisselles rasées ? Est-elle obligée de rencontrer un prince (au masculin) ? Est-elle foutue de se sauver toute seule ? Et puis d’abord, l’amour dans tout ça, à quoi ça mène ?
« Ma plus belle histoire d’amour, c’est vous. »
Car c’est bien d’amour dont il s’agit là, en réalité : l’amour célébré et chanté à tue-tête, y compris par le public, avec une candeur assumée par-delà les déceptions. Toutefois, que les esprits désabusés se rassurent, les princesses du Cheptel sont loin d’être de mièvres brebis. Certes, elles racontent les joies, mais elles ne nient pas les vacheries et les larmes. Si elles chantonnent « j’aime, j’aime, j’aime », elles murmurent de nouveaux monologues (dialogues) du vagin. Elles peuvent encore mettre en évidence le côté un peu masochiste de l’amour. On dira, donc, que le spectacle est d’autant plus à croquer qu’il a l’acidité de la pomme.
Surtout, fidèle à sa générosité, le Cheptel Aleïkoum poursuit sa plus belle histoire d’amour : celle qu’il a entamée avec le public. Après lui avoir offert le pain dans le Repas, il partage ici ses effrois, sa sueur. En effet, le domaine des princesses est un chapiteau magnifique, mais petit à l’image des tentes que vos enfants ont plantées dans leur chambre. On s’y tient chaud et on se trouve très près de la piste, dont on perçoit mieux les périls et les difficultés. Par conséquent, cet espace de rêve qui mêle l’azur des cieux aux ramages shakespeariens devient un espace commun aux spectateurs et aux artistes. Pas de murs invisibles entre ceux-là. En revanche, il y a bien des surprises, des moments partagés, dont on laissera évidemment la surprise. On aurait donc vraiment tort de se priver de ce rafraîchissant songe d’une après-midi d’été. ¶
Laura Plas
Instante, de Juan Ignacio
De et avec Juan ignacio Tula
Du 16 au 19 août 2018 à 19 h 30
Durée : 25 minutes
À partir de 6 ans
Photo © Christophe Raynaud de Lage
Météore, de la Compagnie Aléas
Mise en scène et interprétation : Mathilde Arsenault Von Volsem et Frédéric Arsenault
Du 16 au 19 août 2018 à 18 heures, le mercredi 22 août et le vendredi 24 août à 18 h 30
Durée : 35 minutes
À partir de 7 ans
Photo © Benoît Riff
La Valse des Hommelettes, de la Compagnie Les Antliaclastes
Mise en scène : Patrick Sims
Avec : Josephine Biereye, Patrick Sims, Richard Penny
Du 16 au 25 août 2018 à 17 h 30
Durée : une heure
À partir de 9 ans
Photos © E. Dubost et Jean-Pierre Estournet
Les Princesses, du Collectif Cheptel Aleïkoum
De et avec : Matthieu « Emile » Duval, Marie Jolet, Marjolaine Karlin, Julien Michenaud, Carine Nunes, Marc Pareti
Du 17 au 23 août 2018 à 19 heures, et le 25 août 2018 à 19 heures
Durée : 1 h 20
À partir de 7 ans
Photos © Laurent Alvarez
Orangerie du Château • 87800 Nexon
Dans le cadre de la Route du Sirque du 6 au 25 août 2018
Tarif de chacun des spectacles : 8 €, sauf Les Princesses 14 €
Réservations : 05 55 00 98 36
billetterie@sirquenexon.com
À découvrir sur Les Trois Coups :
☛ La Route du Sirque 2017, à Nexon, par Léna Martinelli