Nuit blanche
Léna Martinelli
Les Trois Coups
Dans cette histoire librement inspirée du Vicomte pourfendu d’Italo Calvino, trois interprètes font dialoguer musique et dessin afin d’explorer la dualité qui fait notre richesse intérieure. Coup de cœur pour ce spectacle lumineux et poétique, vu dans le cadre du festival Le Chainon Manquant et venu du Luxembourg. Drôle et bouleversant.
Les propositions jeune public abordent volontiers les questions philosophiques et n’éludent plus les sujets graves. Toutefois, ici, la construction de la personnalité est traitée de façon vraiment inattendue. Après une violente dispute, un enfant se retrouve sous le choc. Comment se reconstruire et surtout accepter ses contradictions ?
Conflits familiaux et résilience
Tout commence par des cris que l’on n’entend pas et une déchirure, au sens littéral du terme. Coupé en deux, le personnage nous entraîne dans sa quête, une traversée fantastique à la recherche de la beauté, y compris dans ses parts d’ombre. Dans ce spectacle sans texte, les illustrations évoquent péripéties et émotions.
Les visuels sont créés sur scène et projetés sur grand écran. C’est fascinant. Sophie Raynal et Coline Grandpierre déploient en live une large palette de styles (ligne claire, pinceau, découpage, craie, sable, encre…). Toutes les techniques (analogique et numérique), depuis les traditionnelles jusqu’à la palette graphique, sont au service de la narration. Une main qui tremble, du papier de soie froissé, le bruit de la mine qui gratte son support ou du feutre qui caresse la feuille, de la peinture aux moult reflets… Les effets de matière et de lumière révèlent conflits intérieurs et états d’âme. Le théâtre d’objet avec des petits panneaux manipulés apporte également du rythme.
Peu à peu, les moitiés fractionnées sont rassemblées au moyen d’un morceau de scotch doré faisant référence à l’art japonais du Kintsugi. Réparé, plutôt que rabiboché, le petit garçon peut à nouveau tisser des liens harmonieux. Comme cette poudre d’or qui colmate les fissures, les failles sont sublimées et non pas dissimulées. Les costumes portés par les interprètes exploitent cette magnifique métaphore.
Inventivité et profondeur
La recherche, aussi bien visuelle que sonore, traduit la quête d’équilibre. Sans illustrer, l’accompagnement sonore aide à l’interprétation des tableaux oniriques. Deux musiciens interagissent avec la dessinatrice : Florence Kraus aux saxophones et au clavier ; Grégoire Terrier à la guitare. Bruitages et musique, aux influences jazz et électro, expriment au mieux les sentiments. Il ne s’agit pas d’un ciné-concert, mais bien d’une partition hybride originale, d’un concert dessiné avec de bien belles images et de nombreuses trouvailles sonores. C’est une pure merveille.
Malgré l’abstraction, le récit est compréhensible. La symbolique parle d’elle-même : bien et mal, vie et mort, Yin et Yang… De la couleur au noir et blanc, et vice versa, cette histoire de résilience revêt les couleurs de l’arc-en-ciel, mais également des étoiles dans le ciel. Minuit, c’est la moitié de la journée (mi-nuit), le moment où les astres peuvent briller de mille feux. Quand on n’assume pas sa dualité, son côté sombre comme sa clarté, on peut nuire aux autres. En chacun de nous, une bataille ne se joue-t-elle pas entre les contrastes ? Sans demi-mesure, ni nuances, le petit garçon broie du noir, cause aussi des dégâts, exulte, avant d’accéder à un certain état de grâce.
Le spectacle fait l’éloge de l’ambivalence. Traiter d’un sujet grave avec autant de légèreté, ou plutôt de délicatesse, est rare. C’est parfois drôle et souvent bouleversant. Bref, il nous a infiniment touchés. Bravo !
Léna Martinelli
Minuit, Rotondes
Site de Rotondes
Saxophones, clavier, lutherie, compositions : Florence Kraus
Compositions, électronique, guitare : Grégoire Terrier
Dessins, manipulation d’objets : Sophie Raynal, Coline Grandpierre (en alternance)
Soutien à la dramaturgie : Fabio Godinho
Création lumière et régie : Léo Thiebaut (Rotondes)
Tout public dès 7 ans
Durée : 50 min
Lycée Douanier Rousseau
17 septembre 2025
Tournée : Du grain à moudre
• Du 25 au 27 septembre, dans le cadre du festival Les Zébrures d’automne / Les Francophonies, à Limoges (87)
• Le 18 novembre, MJC de Calonne, à Sedan(08)
• Du 27 au 29 novembre, Théâtre des Roches, à Montreuil (93)
• Les 11 et 12 décembre, Paul B, à Massy (91)
• Les 2 et 3 février 2026, TAK Theater Liechtenstein (Schaan, LI)
• Les 16 et 17 février, Krokusfestival (Hasselt, BE)
Spectacle vu dans le cadre du festival Le Chainon Manquant, 34e édition, du 16 au 21 septembre 2025
Photos © Éric Engel