Tout est bon dans le carton
Par Élisabeth Hennebert
Les Trois Coups
Ce « Petit Prince » version S.D.F emballe les enfants, bien que sa volonté de tout dire en même temps lui donne une apparence un peu brouillonne.
D’emblée, les petits jubilent à la vue du décor qui est l’exacte réplique amplifiée et déformée du bazar de leur chambre. Assistée par tout un lycée pour la construction de cette étonnante grotte de carton, de kraft et plastique, la plasticienne Marina Damestoy est une artiste qui structure l’espace avant de penser à son texte. Le « rideau » d’arrière-plan, en patchwork de papiers évolutifs et soulevables sous forme de pop-up, est une vraie réussite et sa mise en mouvement fascine les petits. De même, la bataille de boules de papier entre les deux personnages est un temps de grande excitation dans la salle.
Sur cette toile de fond, l’histoire est, au début, très séduisante, portée d’ailleurs par le jeu excellent des comédiennes. Une comptable en tailleur strict (Pénélope Perdereau) expérimente, à l’occasion d’une panne de métro, un moment de solitude aussi intense que si son biplan s’était écrasé dans le désert. Une seule personne (Armelle Dousset) lui vient en aide : un petit bonhomme aux cheveux carotte, l’habitant de la grotte en carton, qui lui demande « Dessine-moi une maison ». En transposant le Petit Prince dans les couloirs du métro du xxie siècle, la dramaturge a une intuition remarquable, et l’on se fait une fête de ce spectacle. La métaphore est belle, du métro d’une grande ville comme désert affectif plus vide que le Sahara.
Mais, tout de suite, la narration se fourvoie puisque le Petit Prince d’aujourd’hui se reprend pour dire « Euh non, plutôt, dessine-moi un compagnon » alors que l’idée de la maison était tellement plus pertinente compte tenu du sujet ! Par la suite, la transposition de Saint-Exupéry est correctement menée à plusieurs reprises, mais on perd le fil, l’intrigue s’embrouille. On ne sait plus ce qui est raconté au juste : la rue, l’exclusion, la boîte de nuit (la boule à facettes pour symboliser l’ivresse des addictions, pourquoi pas ?) ou le dressage des Pokémon (les personnages des « Clunes » sont calqués sur les célébrissimes héros-animaux en attente de dresseurs qui enchantent le petit public, mais n’ont pas beaucoup de rapport avec le fait d’être responsable de sa rose et encore moins avec la vie des S.D.F.). De bout de ficelle en selle de cheval, la réflexion sur la richesse et la précarité, l’exclusion et l’amitié, finit par atteindre le niveau du rase-mottes avec des oppositions gentils / méchants un peu simplettes quand même. À trop présupposer que les enfants ne peuvent comprendre que les raisonnements binaires, on n’éduque pas des philosophes mais des informaticiens.
Faut‑il bouder le plaisir si évident que prennent les pitchounes à hurler de rire, comme au Guignol, en voyant les clowneries de ce S.D.F. de carton-pâte ? Certes non, mais notre déception d’adultes ronchons est réelle face à ce trop-plein d’objets, en fin de compte sous-exploités. Les constructions en 3D sont fantastiques, mais elles sont trop nombreuses et trop peu utilisées chacune, faute de temps, notamment la belle maquette de ville qui n’apparaît qu’à quelques minutes du dénouement. En travaillant dans le sens de l’épure et en s’astreignant à une gestion plus rigoureuse de la trame narrative, la troupe de La Boîte blanche pourrait prétendre à un spectacle de très grande qualité. ¶
Élisabeth Hennebert
Monsieur Cloche, de Marina Damestoy
Jeune public à partir de 5 ans
Cie La Boîte blanche
Mise en scène : Marina Damestoy
Avec : Pénélope Perdereau et Armelle Dousset
Création musicale : FlexRex et Marina Damestoy
Assistante et coordinatrice décor : Maëlle Bertrand
Constructrice décor : Stéphanie Lelong
Construction des décors : lycée Léonard‑de‑Vinci
Modélisation 3D : Céline Lyaudet
Sculptures : Brice Mathey
Régie générale : Aurélien Escuriol
Photos : © Marina Damestoy
L’Étoile du Nord • 16, rue Georgette‑Agutte • 75018 Paris
Réservations : 01 42 26 47 47
http://www.etoiledunord-theatre.com/
Métro : Guy‑Môquet ou Porte‑de‑Saint‑Ouen (ligne 13) ou Jules‑Joffrin (ligne 12)
Jusqu’au 25 février 2017 : jeudi 23 à 10 heures et 14 h 30, vendredi 24 à 10 heures et 14 heures, samedi 25 à 14 h 30 et 16 h 30
Tournée au Carré Magique à Lannion : les 6 et 7 avril 2017
Tarifs : 10 €, 8 € et 5 €
Durée : 1 heure